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Full text of "Guerre de Tripoli"

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N 



r 



■ 



GUERRE 



DE TRIPOLT, 



POEME. 



PARIS. — TYPOGRAPHIE DE FIRMIN DÏDOT FRÈRES., 

KUE JACOB, M. 



> ? 



GUERRE 



DE TRIPOLI, 



VOEME TRADUIT POOR LA PREMIERE FOIS 



'f DU LATIN "EN F 



RANÇAIS, 



ET PRÉCÉDÉ d'une 

NOTICE SUR LA VIE DE L'AUTEUR, 

BT SOB IM BBCCUL ISTlTOLi 

DELICLE POETABim LDSITANOBIM. 



PAR S. DELATOUR, 

Curé de Saint-Thonui d^Aqviu, 
Tradttcicur dei Sitve$ it Staee et des CBwtrt* it Claméùn. 



PARIS, 

AUGUSTE VATON, LIBRAIRE, 

RUE ]>lf B4C, 46. 



U RCCC XLVII. 



/V|L(U |lo.3^' 



Harvard Coî'e^'^ Library 

Riant Co.cction 
Gift of J. RuncloiiV) rooUdffe 
anci Arcliibiuii i-ary Coollfl^e 

May 7, litK). 



PRÉFACE. 



Parmi les idiomes qu'on parle et qu'on écrit dans 
le midi de l'Europe, il en est trois qu'ennoblit leur 
antique origine, et dont la douceur et l'harmonie dé- 
cèlent des rejetons de la langue latine. Ces idiomes 
se disputent la gloire d'un rapprochement avec elle , 
et personne ne leur conteste ce rapport. 

L'un , l'italien , parut longtemps réclamer avec 
raison ce privilège, et trouver, dans les amateurs qui 
le cultivaient, une disposition générale à le lui ac- 
corder. ' 

L'autre , l'espagnol , ne fut pas sans juste préten- 
tion ; et son rapprochement lui mérita de compter 
au nombre de ses aveugles partisans des hommes 
dont l'opinion n'a pas été exclusivement adoptée. 

Pour le dernier, le portugais, il resta inconnu 
par delà même les frontières de la péninsule. Â 
l'époque où , dans l'Afrique et dans l'Asie, il était le 
langage du commerçant et du voyageur; aujour- 
d'hui même qu'il conserve encore dans ces parages 
lointains l'avantage que lui procurèrent d'éclatantes 
conquêtes , à peine partage-t-il avec ses rivaux l'o- 
pinion qui en fait un dialecte du latin. Cependant, 



II PRÉFACE. 



je ne crains pas de le dire, son identité ne saurait 
erre méconnue : car, pour peu qu'on Fétudie et 
qu'on vienne à établir une comparaison entre ces 
trois langues, on sera bientôt convaincu que jamais 
fille ne ressembla davantage à sa mère. Grâce à sa 
filiation, qu'on ne peut révoquer en doute, elle se- 
rait la langue de l'Europe, comme elle l'est de l'Asie 
et de l'Afrique, si l'habitant de la Lusitanie avait 
trouvé près de nous les avantages et la gloire qu'il 
alla chercher loin de nos climats. 

Pour être convaincu qu'il n'est pas de langue qui 
ait autant de rapport avec la latine, loin de me livrer 
à de longs parallèles , je me bornerai à ouvrir le 
dictionnaire de l'Académie portugaise, et j'y verrai 
la preuve d'une affinité que n'ont jamais montrée 
aussi parfaite l'italienne et l'espagnole. L'introduc- 
tion renferme plusieurs exemples qui feraient croire 
que les passages ne sont que latins, tandis qu'ils 
sont en même temps portugais. Pour épargner au 
lecteur des recherches, je vais lui metlre sous les 
yeux une pièce de conviction. Sur une place de 
Lisbonne, il n'aurait pas de peine, s'il entendait 
pareil langage, à se croire sur une place de Rome, 
au temps où Rome était encore latine. C'est un 
hymne composé par un religieux en l'honneur de 
sainte Ursule : 



PRÉFACE. m 



. I. « Ursule, glorieuse martyre, je chante tes palmes et tes 
victoires : daigne m'accorder tes divines favçurs , vierge sainte , 
dont le courage a terrassé de cruels tyrans. Telle que le phénix, 
en vivant tu brûles , en brûlant tu triomphes. Qu'ils ^ont bril- 
lants les chœurs que tu formes ! Rose admirable , tu produis 
d'admirables roses et donnes à la vertu d'admirables colonnes. 
Fille des rois , puisse ta vie égaler l'éternité ! C'est en chantant 
des hymnes religieux que je t'invoque, toi et tes compagnes. 
Innocence et sainteté , voilà vos titres à mon amour et mon culte, 
à mes chants et mes éloges. Je vous devrai , troupe vertueuse , 
des années heureuses, et les innombrables faveurs de Jésus- 
Christ. Telle est mon espérance. » 

 la vue de ces vers ^ dont chaque mot est à la 
fois portugais et latin, on s'étonnerait sûrement 
que le Portugal n'eut pas donné nombre d'imita- 
teurs aux écrivains du beau siècle» Il est un recueil 
imprimé à Lisbonne en 1745» intitulé Corpus poe- 



I. a Canto tuas palmas , famosos canto triumphos , 
Ursula : divinos , martyr , concède favores. 
Subjectas , sacra nympha, feros, animosa, tyrannos. 
Tu, phénix j vivendo ardes^ ardendo tiiumphas. 
5 Illustres generosa choros das , Ursula : bellas 

Das , rosa bella , rosas ; fortes das, sancta , columnas. 
^ternos vivas annos , o regia planta ! 
Devotos cantando hymnos , vos invoco sanctas : 
Tam puras nymphas amo , adoro , canto , celebro : 
10 Per vos , felices annos , o candida turba , 

Pcr vos innumeros de Christo spero favores. » 

a. 



IV PRÉFACE. 



taruin Lusitanoruniy ç[w\ en offre la preuve. Une 
letlre poétique, servant d'introduction à l'ouvrage, 
enregistre leurs noms et leurs litiges. Au nombre 
de cinquante-neuf, tous ils marquent dans ce nom- 
bre par des compositions de quelque étendue. Dans 
les collections semblables , qu'elles viennent d'Al- 
lemagne ou d'Italie, contrées si fécondes en poètes 
latins , à peine on rencontre un poème didactique : 
pour la plupart, c'est à des épigrammes, des 
églogues, des épithalames, qu'ils doivent leur im- 
mortalité. Il n'en est pas ainsi des écrivains portu- 
gais; ce n'est pas de semblables bagatelles qu'ils se 
sont occupés. Chaque volume renferme au moins 
un poème qui mérite l'attention des lecteurs. A la 
tête de cette nomenclature, plaçons l'auteur même 
de cette lettre , à qui cinquante écrivains doivent 
de vivre encore : dispensateur de l'immortalité, il 
est juste qu'il la partage avec eux. 



SANGHEZ (Pierre). 

Sanchez naquit à Lisbonne. A seize ans, il fut 
appelé à de hautes fonctions : pendant des loisirs 
momentanés, son occupation favorite, c'était de 
lire et de composer des vers, dont l'élégance et la 
facilité lui méritèrent le nom d'Ovide portugais. 



PRÉFACE. 



titre dont ses contemporainsétaient a(ors prodigues. 
S'il aimait la poésie y il aimait aussi les poètes ; et, 
comme le talent ne fait pas toujours les heureux , 
il s'établissait leur protecteur, et se chargeait de 
mettre au jour leurs ouvrages. Sans pareil appui , 
que d'œuvres méritoires seraient perdues pour la 
postérité! De ses trois fils, l'un hérita de son pa- 
triotisme, l'autre de ses places, le dernier de sa 
piété. Celui-ci était en même temps écrivain el 
religieux : le poison l'enleva à l'Eglise et aux let- 
tres. Des juifs furent soupçonnés de ce crime : en 
est-il qui pût alors leur coûter? C'est dans sa ville 
natale que mourut Sanchez, et cela, la même année, 
le même jour, à la même heure qui lui ravit son 
épouse. Une lettre en vers, adressée à un ami , An- 
toine Moraes, renferme des jugements sur une par- 
tie de ses contemporains. Des citations mettront 
le lecteur à même d'apprécier son talent poétique. 



GAÏADO (Hermicus). 

Caïado occupe la première place dans cette no- 
menclature : il trouva un ami dans Politien, un 
panégyriste dans Erasme. Neuf églogues, trois silves, 
deux livres d'épigrammes, voilà ses titres au souve- 

a 



VI PRÉFACE. 



nir de la postérité. Quel sacrifice lui commanda 
lamour de la poésie ! C'est au barreau que le des- 
tinait sa famille; c'est du barreau que Téloignait son 
penchant. Cependant il fallut partir pour Bologne, 
renommée pour le savoir de ses légistes. Une pen- 
sion honnête allait fournir à ses besoins; mais 
ayant bientôt méconnu l'intention de ses parents 
et le but de son \oyage, la pension lui est retirée î 
le voilà réduit aux plus pénibles privations; à peine 
lui reste-t-il du pain et quelques vêtements. N'im- 
porte, son goût est satisfait, et sa misère oubliée. 
Il continuait ses poétiques occupations , quand une 
volonté supérieure, la volonté de son souverain, 
l'arrache à des travaux avancés: il faut sacrifier un 
poème épique, et consacrer trois années à l'ennui 
de la jurisprudence. Malgré la différence des étu- 
des , les succès sont les mêmes. Lisbonne le rap- 
pelle, une place dans la magistrature est vacante, 
un concours s'ouvre , un rival se présente , des juges 
prévenus prononcent: Caïado est exclu. Comment 
survivre à cet échec? Il emporte à la campagne la 
pensée de son mérite méconnu : Tamour-propre 
inconsolable le conduit au désespoir, le désespoir 
à la mort. Voici le jugement qu'en a porté Sanchez : 

I. (( La famille Caïado vous présente, parmi les poètes, Hermi- 
L « Cayada de gente tibi venit Hermicus, ille 



"^^ «JjS«.»»*"t» J* 



PRÉFACE. VII 



eus, Heinnicus que Rome entière connsut. Bois, troupeaux, dieux 
de la campagne , voilà le sujet de ses chants. Alors qu'il enflait 
ie chalumeau et redisait de doux accords, le Mincio même , à l'a- 
bri sous ses roseaux , Técoutait à la surface de ses ondes. Aussi 
commandait-il aux flots de suspendre le murmure de leur cours, 
et prétait une oreille attentive à la douceur de ses paroles et de 
ses accents. Il croyait , ce vieillard , que , à l'ombre des peu- 
phers , erraient , dans ces vallons , et la muse et les mânes de 
"Virgile , qui revenait visiter un séjour et des arbres aimés de 
son jeune âge. » 



DA COSTA (E31MANUEL). 

On connaît sa patrie, on ne connait pas sa fa* 
raille : Lisbonne fut son berceau^ Salamanque le 
premier théâtre de ses succès , la jurisprudence son 
étude. Après quelques années passées à Coïmbre, 
il revient assister à un concours : le professeur le 
plus distingué avait laissé par sa mort une place 

Hermicus Ausonia cunctis notissimus urbe, 
Qui cecinit silvas , pecudesque et numina ruris : 
Quem saepe inflantem calamos et dulce sonantem , 

5 Tectus arundinibus , summis audivit ab undis 
Mincius ipse pater. Fluctus et ponere raucum 
Jussit murmur aquae labentis , ut altius aùre 
Attenta molles numéros et verba notaret ; 
Gredebatque senex musam manesque Maronis 

10 Populeas inter frondes , in vallibus illis 

Errare , et silvas , sedesque revisere amatas. » 



VIII PRÉFACE. 



qui faisait bien des envieux. Arrivé le dernier jour, 
il ne lui reste qu'à peine quelques moments pour 
se préparer à répondre aux questions choisies à. 
dessein de l'embarrasser. On l'écoute, mais avec 
peu de faveur : des murmures éclatent; élèves et 
maîtres ont arrêté leur choix, et semblent vouloir 
lui enlever la faculté de parler, parce qu'ils pré- 
voient son triomphe. « Écoutez, s'écrie-t-il, les bras 
<c tendus et la voix élevée; écoutez, c'est Papinien 
<c lui-même que vous allez entendre. » Propos sûre- 
ment peu modeste, qui pourtant ferma la bouche 
à ses ennemis, et lui conquit la bienveillance et l'at- 
tention générale. Sa victoire ne fut plus coRtestée, 
mais il en jouit peu de temps: Durant sa dernière 
maladie, il eut à se prononcer sur son successeur : 
l'amour-propre ne l'abandonna pas même à ce mo- 
ment : il proposa son fils et lui donna un brevet 
d'infériorité, tout en déclarant qu'il pouvait rem- 
placer son père. Le barreau lui doit des livres ins- 
tructifs, la littérature des compositions peu nom- 
breuses en prose et en vers. Ses poésies se réduisent 
à deux épithalames. Le jour qu'il présenta le pre- 
mier au nouvel époux, on traitait devant lui cette 
question : Un jurisconsulte peut-il être poète? A son 
arrivée, la conversation change d'objet , on l'écoute. 
La question est bientôt décidée, la lecture a dis- 
sipé tous les doutes et réuni tous les suffrages : une 



PRÉFACE. 



IX 



voix unanime pro^ame Da Costa grand poète , et 
son ëpithalame un chef-d'œuvre. 



VASCONCEIiLOS (Mewdez). 

Ce nom, qui marqua dans les guerres glorieuses 
de l'Afrique et de l'Asie, marqua aussi sur le Par- 
nasse portugais. Mendez, objet de cet article, 
y occupe une place méritée. Sa \ie fut pourtant un 
voyage presque continuel; mais il donna un démenti 
au proverbe, car chaque course ajoutait à son sa- 
voir. La jurisprudence fut le sujet de ses travaux : 
il l'étudia sur le théâtre le plus éclatant, et sous les 
hommes les plus habiles. Il eut pour maître, à Bor- 
deaux, Gouvea ; à Toulouse, Coras; et Rébuffe 
à Paris. 11 accompagna ensuite le légat Da Silva 
à Trente; et, après la suspension du concile, il 
visita Venise et Rome. Son amour pour la paix l'en- 
gagea à se dérober aux orages delà guerre qui éclata 
sous les règnes de Jules 111 et de ses successeurs : 
il retourna donc à Lisbonne. La faveur du roi le 
nomma chanoine d'Évora. C'est là qu'à soixante- 
seize ans il termina sa vie. Malgré ses arides études , 
son talent pour 1^ poésie ne faiblit pas : on pourrait 
dire avec raison que, parmi les poètes latins delà 
Lusitanie, la palme lui appartient. Ses compatriotes, 
presque tous, ont pris pour modèles les écrivains 



PRÉFACE. 



de la décadence : pour lui , par Télégance de sa dic- 
tion et la clarté de s^s pensées, il occupe une. place 
qu'il ne doit qu'à lui-même. J'en appelle à ses lec- 
teurs. Une pièce sur le retour dans sa patrie, après 
une longue absence, suffira pour lui mériter leurs 
suffrages. 

I. « Est-ce bien vous que je revois , lieux si doux de ma nais- 
sance ? Champs aimés , plaines chéries , sources limpides, inta- 
rissables ruisseaux , je vous reconnais ! Et toi , demeure anti- 
que , précieux berceau de mon enfance , je te salue ! . . . Mais une 
trompeuse illusion s'ofïre-t-elle à mon esprit, ain^ qu'un songe 
retrace sous diverses figures des objets divers? Veillé- je? et, sans 
un^e erreur de mes sens, vois-je de mes yeux le sol où je naquis , 
et ces doux pénates qui m'accueillirent à ma première aurore ?. . . 
Que je rentre avec bonheur sous le toit qui fut témoin de mes 
premiers vagissements et des jeux innocents de mon jeune âge ! 



I. « Aspicione tuas , tellus dulcissima, sedes? 

Dilectos video campos , adamataque rura ? 

Agnosco vitreos fontes, rivosque perennes? 

Nosco domum antiquam, et cunabula chara salutoP... 
5 An mihi sese offert fallax et inanis imago , 

Quae, velut in somnis, rerum simulacra figuris 

EfBngit variis , mentemque eludit , et alto 

Membra sopore madent curis agitata diumis. 

An vigil ? et vero discernens omnia sensu , 
to Aspicio natale solum , dulcesque pénates 

Cerno meîs oculis, qui nos in luminis auras 

Excepere? olim vagitus conscia prisci 



PRÉFACE. XI 



Jour heureux que je dois marquer de la pierre la plus blauclie, 
jour objet de tous mes désirs, jour le plus beau des jours de 
Tannée, reviens, célébré dans mes vers, et toujours plus pro- 
pice ! . . Rongé par les soucis , les infirmités et la vieillesse , je 
sens , après dix lustres , grossis de deux fois trois années, je sens 
renaître en moi l'amour si doux de la patrie. Aussi mes vœux 
ne sont pas déçus : à peine mes pieds ont foulé la terre désirée , 
à peine ai-je éprouvé Tinfluence de son ciel favorable, que sou- 
dain mes membres ont recouvré leurs forces -, le nuage s'est dis- 
sipé qui enveloppait mon corps ; la douleur a cessé de fatiguer 
mon âme ; les soucjs et les gémissements ont disparu : le génie 
protecteur de ce lieu et l'aspect enchanteur de la patrie ont 
étouffé mes soupirs et banni ma tristesse... Que j'aime, après 



Tecta libens subeo , teneris ubi lusimus annis. 
O felix , niveoque mihi signanda lapillo 

15 Lux optata diu, reliquojucundior aevo, 

Carminibus celebranda meis , reditulraque fausto 
Tempore ! Confectum curis , aegrumque senemque 
Cum post lustra decem, bina trieteride juncta , 
Dulcis amor patriae subiit , nec nostra fefellit 

20 Vota ; sed optatae simul ac vestigia terrae 
Fiximus, et cœli sese obtulit aura benigni, 

Continuo membris rediit vigor , illaque membris 

» 

Abscessit nubes, nec jam amplius uUa fatigat 
Corda dolor, curaeque graves, gemitusque recedunt. 
25 Ipse loci Genius , patriaeque aspectus amœns 
Tristia depellunt animo suspiiia nostro. 
Ut juvat obiitos longo jam tempore fines 



XII PRÉFACE. 



un long éloignement, à revoir cette contrée et les changements 
qu'elle a subis , cette contrée où jadis , dans mon premier âge , 
je goûtai les charmes innocents de la vie ! Salut, ô terre que me 
réserve la bonté du ciel ! salut aussi , pénates tendrement aimés ! 
Et toi, féconde nourrice de mortels célèbres, toi qu*ont illus- 
trée les talents , les combats et les exploits , je te salue ! Non , je 
ne balance pas à te préférer à toute autre contrée , quoique ton 
peuple soit peu nombreux, et que de rares laboureurs guident la 
charrue recourbée dans tes fertiles guérets. C'est une erreur de 
rechercher les brillantes cités, et d'échanger pour une gloire 
sans réalité une patrie sans éclat. Il n'est pas de terre qui ne 
produise des héros , et le village a souvent enfanté des grands 
hommes. Ne vous fiez pas à de vastes rempai'ts : là règne Érin- 
nys, mère de tous les crimes : ambition, colère, ai*tifice, pas- 



Mutatosque videre locos , ubi dulcia quondam 

Parvulus innocuae capiebam gaudia vitae ! 
30 Salve, o cœlicolum nutu mihi débita tellus , 

Vosque iterum chari nobis salvete periates ! 

Salve nobilium nutrix fecunda virorum , 

Clara armis, clara ingeniis et fortibus ausis ! 

Non ego te cunctis dubitem praeponere terris , 
55 Et licet exiguus populus tibi , laetaque curvo 

Vomere non multi proscindant arva coloni. 

Fallitùr egregias quisquis sibi vindicat urbes , 

Ut tenuem falso patriam permutet honore. 

Omne solum fortes producit , parvaque claros 
40 Oppida saepe viros générant ; nec mœnibus amplis 

Fidite : nam scelerum fautrix ibi régnât Erinnys. 

Ambitione, dolis turpique libidine et ira 



PRÉFACE. XIII 



sions honteuses ^ souillent d'ordinaire les palais ; mais rarement, 
en d'étroites cités , régnent pareils désordres. » 

Voici une épigramme : tel est le titre que lui donne 
Fauteur. £lle est loin cependant de remplir Tidée 
qu'y attachaient les anciens et que nous y attachons 
encore; car rien n'est plus innocent. C'est le pre- 
mier mai, jour de sa naissance, que le poète cé- 
lèbre; c'est le retour du printemps dont il fait la 
peinture; c'est une douce joie dont le pénètre cette 
riante époque. Ses vers en ont la fraîcheur et le 
charme; c'est aussi le motif qui m'engage à les 
mettre sous les yeux du lecteur. 

I. a Salut , jour de joie qui m'as appelé à la lumière et donné 
de goûter les prémices de la vie ! Salut , beau jour que n'égale 
aucun jour de l'année ! jour que protègent de leur appui deux 
habitants du ciel ! Ah ! sois pour moi toujom*s propice et for- 
tuné! et, pendant longues années, que ton retour me ramène 



Magnificos intra muros peccatur ; et istae 
Rarius exigua pestes dominantur in urbe. » 

I. « Salve , laeta dies qua primum luminis auras 
Hausimus , et vitae sumpsimus auspicium ! 

Pulchra dies, toto qua nuUa est pulchrior anno , 
Divorum gemino fulta patrocinio. 

Sis fehx et fausta mihi , multosque per an nos 
Majori semper laetitia redeas. 



XIV PRÉFACR. 



un plus parfait bonheur ! C'est loi qui rends à la terre une 
verdure agréable, au ciel sa riante sérénité, au zéphyr son doux 
murmure. A ton arrivée, la froidure s'adoucit, la mer se calme, 
un souffle léger emplit les voiles, un vert gazon tapisse les 
champs , mille couleurs émaillent les prairies , et les arbres cou- 
vrent les montagnes de leur feuillage. L'abeille fait entendre un 
doux bourdonnement , l'agneau se joue dans les vallons , et le 
bœuf mugit au milieu des plaines. La joie rajeunit la nature , 
ranime l'esprit , et dissipe les soucis et la tristesse. Quel est mon 
bonheur d'avoir vu le jour à l'époque la plus belle qui signale 
l'année! » 



GABEDO (MiGHFx). 

Les pères étaient autrefois les précepteurs et les 
modèlesde leurs enfants, et leur transmettaient éga- 
lement vertus et savoir. Ce n était pas alors, dans 

Per te laeta viret tellus , et lucidus aether 

Ridet blandisonis luxurians zephyris. 
Frigora mitescunt , placidum silet aequor , «t aurae 
10 Leniter impellunt lintea threiciae. 

Gramine rura virent , et gemmea prata colores 

Mille trahunt , montes frondea silva tegit. 
Dulce susurrât apis , ludunt in vallibus agni , 

Mugitus ed.unt lata per arva boves. 
15 Laeta viget rerura faciès animosque jacentes 

Excitât , et curas mœstitiamque fugat. 
O me felicem, nasci cui contigit illo 

Tempore, quo nullum pulchrius annus habet ! » 



PRÉFACE. XV 



les familles, ce goût de distractions frivoles qui 
semble aujourd'hui Tunique héritage laissé à la jeu- 
nesse. Après quelques connaissances superficielles , 
on la livre à une pernicieuse oisiveté; ou si, quel- 
quefois, on lui permet quelques voyages, c'est 
moins pour former son esprit que pour satisfaire 
sa curiosité, ou Tarracherà quelque désordre. Les 
études se prolongeaient autrefois presque jusqu'à 
la maturité; et les voyages n'avaient qu'un but, 
toujours utile, d'aller, en des pays étrangers, cher- 
cher des maîtres habiles , et des connaissances qu'on 
n'aurait pas acquises au lieu natal. Le premier âge 
familiarisa Cabedo avec le grec et le latin, puis il 
visita Orléans et Paris, et rapporta, avec la science 
du droit, le moyen de servir sa patrie. Aussi, dès 
son retour en Portugal, fut-il appelé à d'impor- 
tantes fonctions; et son zèle à les remplir lui mé- 
rita la faveur de son souverain. A de longs travaux 
succéda une longue et douloureuse maladie qui le 
conduisit, à cinquante ans, au tombeau. La poésie 
avait servi de délassement à ses fatigues. Que ses 
contemporains aient applaudi à ses compositions 
poétiques, faut-il s'en étonner? Il avait acquis une 
telle facilité à écrire et parler le grec et le latin, 
qu'on l'aurait pris, à son langage, pour un enfant 
d'Athènes ou de Rome. Cinq poèmes dont la Fable 
a fourni tous les ornements, et des épigrammes qui 



XVI PRÉFACE. 



charment par leur innocence , montrent à qui les 
lira Famour qu'on portait alors à la royauté , ainsi 
qu'à la vertu. Que les temps et les sentiments sopt 
changés ! Voici les vers que Sanchez lui a consacrés : 

I. a Objet de nos hommages , ô Cabedo , ainsi que les neuf 
Sœurs , ta patrie t'a pleuré, et Lisbonne a, de larmes abondantes 
et de bruyants soupirs, accompagné ta marche au tombeau. Elle 
regrette la sagesse de tes conseils et Téquité de tes arrêts. Un 
ordre du monarque t'appelle à des emplois brillants ; mais atta- 
ché, par un penchant heureux, à la poésie, (u continues d'aimer 
les Muses et les vers. C'est le poëte de Canope qui chanta les 
coursiers du ravisseur infernal , l'hymen célébré dans l'abime , 
le palais des enfers , c'est Claudien que tu veux surpasser. » 



CABEDO f Antoine). 
Le fils aurait dédommagé le Portugal de la perle 



L a Et te fleverunt Musae, venerande Cabedo, 
Atquq tui cives : funus respublica multis 
Produxit lacrimis et femineo ululatu, 
Conciliis orbata tuis et legibus aequis. 
5 Qui quamvis jussu majora ad munia nostri 
Caesaris electus , semper tamen numine dextro. 
Addictus Musis , Musas et carmen amasti ; 
Et Pelusiacum qui personat ore trisulco 
Infemi raptoris equos , stygiosque hymenaeos, 
10 Tart^easque domos, tentabas vincerecantu. » 



I=S 



PRÉFACE. XVII 



du père. Que lui a-t-il manqué ? une plus longue 
carrière. C'étaient en lui, avant la maturité, des 
goûts aussi purs, la même ardeur pour le travail , 
un jugement aussi sain , une mémoire qui tenait du 
prodige. S'il étonnait par le savoir, il édifiait par la 
conduite. Mort à vingt-cinq ans, il emporta les re- 
grets que donnait le public à la piété du prêtre, 
ainsi qu'au talent de l'écrivain. L'Église perdit un 
orateur qui aurait honoré la chaire , la littérature 
un poète qui promettait d'honorer le Parnasse. Il 
avait pris Stace pour modèle : il faut le regretter; 
il n'en avait pourtant ni l'obscurité, ni l'emphase. 
Voici une de ses épigrammes sur la tombe de sa fa- 
mille : je laisse à cette pièce le nom qu'elle porte 
dans l'original ; on y verra le bon fils à la fois et 
le frère tendre. 

II. « Terre sacrée, et plus sainte à mes yeux que ne Test un 
tombeau ! séjour unique auquel aspirent mes cendres ! quelles 
âmes à jamais vénérables tu renfermes, deux frères chéris , un 
père adoré ! Ce qui pouvait m'attacher à la vie , tu le possèdes ; 



II. « Sancta mihi tellus , tumuloque sacratior omni ! 

Exoptata domus ossibus una meis ! 
Tu mihi perpetuo venerandas contegis umbras , 

Charo germanos cum genitore duos ! 
Tu mihi , si quid erat propter quod vivere vellem , 

Omnia tu nostrae gaudia lucis habes. 

b 



xvni PRÉFACE. 



elle n'a plus pour moi de charmes. Le moment est arrivé , plus 
de délai; reçois- moi dans ton sein, rends à un père, rends à 
des frères les restes de moi-même. Que le repos est doux , que le 
bonheur est pur, quand la pierre couvre des êtres qui s'aimèrent î » 



DE SOUZA (Mello). 

Talent distingué, beau nom, fortune brillante^ 
voilà rhëritage que Mello de Souza avait reçu de 
ses pères. Dès le premier âge, il étonna ses maîtres 
et sa famille par sa facilité extraordinaire. Le pre- 
mier livre qu'on met d'ordinaire aux mains de l'en- 
fant, la grammaire, lui coûta à peine quelques mois 
d'étude et d'ennuis. Pour les humanités , comme 
elles sont le charme de l'éducation littéraire, et que 
tout y est agrément, elles furent pour lui le prélude 
d'un heureux avenir. C'était peu de lire les modèles, 
il commençait déjà à les imiter , et jetait les fonde- 
ments de la réputation qui a transmis jusqu'à nous 
un nom qu'avait illustré une carrière différente. Â 
la littérature il joignit la jurisprudence, qui con- 
duisait alors à des postes éminents , et assurait une 



Eia âge , rompe moras , meque excipe : redde parenti 

Haec mea , redde etiam fratribus ossa meis. 
quam grata quies , o quam jutunda volupta* , 
10 Cum sibi chara idem eontinet ossa liqpîs f i 



PRÉFACE. 



x<x 



gloire attachée d'ordinaire aux services rendus à la 
patrie. Aussi le savoir était un titre à l'intérêt du 
monarque, qui ne connut le mérite de Souza que 
pour l'utiliser. Les divers emplois auxquels il fut 
appelé montrèrent à la fois la sagesse du prince et 
la capacité du sujet. Â la lecture de ses poésies, on 
les croirait non le fruit de quelques loisirs , mais 
la seule occupation de sa vie. Quand on voit San- 
nazar, pendant l'espace de vingt années, ne pro- 
duire qu'environ quinze cents vers, et mériter 
ainsi l'immortalité , comment ne la pas promettre 
à l'auteur de trois poèmes également recomman- 
dables par l'éclat de l'imagination et du style? 

Le premier est une imitation du livre de Job, ce 
livre qu'on peut traduire, mais qu'on n'égale ja- 
mais. Aussi, au lieu d'une traduction, en a-t-il 
donné une admirable paraphrase. Dans la pre- 
mière, la gène se montre; dans la seconde, elle 
disparait, pour faire place à une aisance qui sem- 
blerait un original. Les connaisseurs ne lui ont pas 
refusé des éloges. Sanchez est ici leur interprète. 

l. a Donnons un laurier à Souza : ses accents plaintifs ont 
célébré les maux et l'indigence , les douiïrances et les opprobres 



I. a Donatur laurea Soutas , 

Quo mala^ pauperîem, cruciatus , probra, laborea 

# 

b. 



PRÉFACE. 



de Job. Est-il mortel qui jamais ait pu ou pourra jamais chanter 
en vers aussi sublimes le héros de la patience? L'essaim des 
doctes Sœurs lui prodiguerait vainement ses ondes inspirantes ; 
vainement le roc sourcilleux du Parnasse se fondrait pour lui 
en sources fécondes , en fleuves abondants. » 

Après ce premier poème, que d'écrivains, fiers 
de cette admirable paraphrase universellement 
admirée^ auraient cru pouvoir quitter désormais 
la carrière, et compter sur une réputation brillante 
parmi les latinistes du Portugal ! Pour Souza, c'est 
un sentiment religieux qui Fentraine et lui com- 
mande d'ajouter à son premier travail une grande 
épopée qui embrasse à la fois l'homme et Dieu. 
Qu'a fait l'homme contre Dieu , qu'a fait Dieu en 
faveur de l'homme? Telle est la question qu'il va 
résoudre dans son poème intitulé Régénération de 
la race humaine. Les neuf livres dont il se com- 
pose renferment la Chute d'Adam , les Ravages du 
démon , la Conception de Marie et sa Nativité , 
l'Incarnation, la Naissance, la Passion, la Résur- 
rection et l'Ascension de Jésus-ChrisL Ce sujet, 



Flebilibus cantare modis patientis lobi 
Non fuit altisono melius qui carminé posset, 
Sed nec erît, liquidas quantumvis prodigat undas 
Castalidum facunda cohors ; licet alta liquescat 
In fontes , fluviosque vagos Pamassia rupes. » 



PRÉFACE. 



XXI 



ainsi traité /semble former neuf poèmes différents ; 
mais chacun tend au même but, sans rompre l'u- 
nité, et contient des beautés réelles que ne dépa- 
rent ni centons, ni amalgame du profane et du sa- 
cré. Le paganisme est ici tout à fait étranger, et le 
poète sincèrement chrétien. Je regrette que la briè- 
veté d'une préface n'en permette pas l'analyse : on 
verrait que^ sous des plumes diverses , le même 
fond ne laisse pas d'offrir des détails différents. 
Sannazar a trouvé dans Souza un rival que son 
imagination n'a jamais égaré ; le style a peut-être 
moins d'éclat, mais n'a pas moins de pureté. Les 
citations placées à la suite du dernier poème met- 
tront le lecteur à même d'en juger. 

Ce dernier poème de Souza a pour sujet les Mi- 
seres humaines. C'est un sombre tableau qu'il trace; 
et combien il doit paraître lugubre, quand on rap- 
pelle ce que fut l'homme, et ce qu'il aurait pu être 
toujours, si l'infidélité n'avait pas changé les dis- 
positions de Dieu à son égard! Après avoir par- 
couru les différentes phases de notre existence, 
qui varient avec tant de rapidité et laissent de si pé* 
nibles souvenirs, ce n'est pas contre nos premiers 
pères, c'est contre leur premier ennemi qu'il se 
déchaîne. Au respect et à la compassion pour les 
victimes , succèdent des malédictions pour le sé- 
ducteur. L'arbre même les partage , cet arbre sur 



XXII PRÉFACE. 



lequel, malgré la défense, fut portée une main 
sacrilège. C'est par là qu'après nombre d'épouvan- 
tables peintures, la maladie^ la guerre, la mort, 
c'est par là que le poète termine son épopée. 

I. ff L'exil de l'homme coupable aurait été sans terme , et le 
puits de Tabîme l'aurait pour toujours englouti , si , descendu 
des célestes hauteurs, Jésus-Chiîst, par un miracle de bonté, 
ne lui avait pas rouvert la route du fortuné séjour , et donné de 
réparei* sa perte et de recouvrer sa demeure. Elle sera eflacée 
la faute qui a, pour rançon, obtenu le sang d'un Dieu. Aussi 
n'irai-je pas outrager en même temps les auteurs de ma vie , les 
objets de mon amour , et , postérité ingrate , déchaîner contre 
eux ma colèi*e. C'est contre l'odieux serpent qu'il m'est permis 
de vomir les imprécations. Cause première de nos disgrâces , je 
te maudis , ô serpent qui as doté la race humaine de tant de 
crimes et de malheurs. Ah ! pèsent sur toi tous les fléaux ! Objet 



I. a Perpetuum foret exilium mortalibus , omnes 
Mergeret infaustae gurges putealis abyssi , 
Ni prius ex alto mire delapsus Olympo 
Filius œthereas hominî patefecerit oras , 

» Ac dederit reparare domos, reparare ruinam 
Sedis Olympiacas. Pretio pensabitur omni , 
Quae meruit redimi divino sanguine culpa. 
Non in vos ideo, primi charique parentes , 
Invehar , aut probris soboles ingrata lacessam. 

^^ Anguibus invisis mihi fas indicere diras ; 

Teque ego devoveo , coluber ! tu , causa malorum 
Prima, înem gmieri nostro , clademque dedisti. 



PRÉFACE. 



ZXUI 



dliorreur pour tous les êtres ^ sois condamné à ramper, la poi- 
trine appuyée contre la terre ! Que la terre soit ta pâture I Que la 
femme pour toi, impitoyable ennemie, n*ait que des menaces! 
Que Thomme désarmé te soit un sujet d'effroi ; et que, victorieux 
de toi-même et du péché , ses descendants écrasent ta tête homi- 
cide ! Quel éclatant triomphe elle remportera! quelle gloire pour 
elle de te dépouiller de nos trophées ; et, pour racheter l'homme 
et le rendre à son séjour primitif, de te faire , par une vertu 
nouvelle , sa victime! Puisses-tu, glacé par la rigueur de l'hi^ 
ver et des neiges , aspirer en vain après la chaleur des étés , ne 
sentir jamais l'ardeur bienfaisante du soleil, et voir expirer ton 
orgueil dans les glaces de l'Ourse ! Qu'il n'existe pas avec toi 
de paix, et qu'entre l'homme et le serpent règne toujours la dis- 
corde! Qu'à la vue de tes sinueux replis, l'enfant pâlisse, le 

Sis , precor, infelix, interque animantia terras 

Yilis , humi gradiare super tua pectora serpens ! 
15 Sit tibi terra cibus ; semperque inimica minetur 

Saeva tibi mulier ! te semen terreat ejus , 

Et nudum metuas hominem ! te sancta propago 

Yincat et aima tuum caput exkiale doloris 

Conterat ! Eximium ferat illa triumphum, 
ao Te spoliet nostris , summa cum laude , trophaeis ; 

Âc genus humanum redimens in pristina reddal. 

Te superans virtute nova ! te bruma nivali 

Horrida solstitio gelet , aestatesque negatse 

Semper et optati sterilescant lumina solis , 
25 Axe sub arctoo sedes tibi lecta , superbe ! 

Fcedera nuUa dbi , nuUo firmetur amore 

Pax homini tecum : sinuosa volumina cuncti 

Horrescant pueri : fiât tibi dura juventus 



XXIV 



PRÉFACE. 



jeune homme cherche ta perte « le berger s'arme d*un bâton 
vengeur, et décharge sur ta tête les coups de ce bois qui t'a servi 
à nous apporter le crime, les malheurs et la mort ! 

Toi aussi , arbre odieux , que le froid te dépouille de ton feuil- 
lage ; et , condamné à la stérilité , que les saisons ne t'embellis- 
sent jamais de fleurs , de fruits et d'ombrage ! Si le ciel le permet 
et seconde mes désirs, que la tourterelle aille, seule et sans époux, 
soupirer sa douleur sous tes feuilles ! Qu'après avoir été l'ali- 
ment des bûchers et la pâture des flammes, le vent te disperse, 
réduit en cendres , dans les airs ! Que le désert d'Asphaltite ne 
t'envie pas tes fleurs, et que l'ardeur du Sirius te ravisse la 
faculté de produire ! . . . Mais si l'Aquilon ne t'aiTache pas du sein 
de la terre , que son souffle du moins jonche , avant le temps , 
tes fruits sur la poussière , tes fruits qui , peut-être , séduiraient 



Exitio , capiat saeva in te robora pastor : 
so Mortiferum e:^eriare tuo cum sanguine lignum , 
Pessime , quo nobis tua fraus dispendia vitae 
Intulit , adversos casus , summosque labores. 

Tu quoque, delapsis foliis, inamabilis arbor , 
Infœcunda gelu fias , non floris honore , 
55 Non fructu , non laeta comis, non gratior umbra. 
Si licet, et nostris aspirent numina votis, 
Triste gemens te turtur amet , sine conjuge , sedem : 
Aut alimenta rogis praebens et pabula flammis , 
In cineres abeas ventis agitanda , nec unquam 
40 Invideat déserta tuis Asphaltidos ora 

Floribus , et reddat sterilem te Sirius ardor ! 
At si non fueris radicitus eruta , saltem 
Immatura càdant tua poma nocentia vento. 



PRÉFACE. 



XXV 



d'autres victimes, et seraient pour les habitants du ciel un objet 
de dégoût; ou, si l'Arbitre sçpréme te conserve, que du moins 
il ne te permette pas de te ràuldplier sur une terre étrangère I 
Que ta nature cesse de te reproduire ; et que tes fruits soient , 
ainsi que toi , à jamais inconnus aux mortels ! » 



PAYVA DE ANDRADA (Diego). 

C'est en Portugal surtout que la poésie a payé à 
la valeur nationale un juste tribut d'éloges. Les li- 
mites de la Péninsule ne l'ont pas arrêtée ; elle a 
suivi les vainqueurs par delà les mers, sur les côtes 
de l'Afrique et de l'Asie; et partout elle a trouvé des 
exploitsàrappeleràl'admirationde touslesâges. C'est 
peu de les avoir célébrés dans la langue vulgaire, 
connue à peine d'une étroite partie du continent : 
ils méritaient, ces grands capitaines, qu'un poète 
leur consacrât des vers destinés, comme ceux des 
chantres d'Énée et de César, à parcourir les siècles 
et recueillir les hommages du monde. Diu, Malaca, 



Alliciant ne forte alios, ingrataque fiant 
45 Cœlicolis : aut si malit dominator Olympi 
Te potius perstare , tuas a finibus horti 
Non sinat illatas alio coalescere plantas ; 
Nec natura ferax alibi producat ; et omni 
Notitia careant hoipines fructûsque tuîque. » 



SI 



PRÉFACE. 



Arziile, ont eu des panégyristes : Chaul était bien 
digne d'en trouver; son nom, grâce à une épopée 
latine j vivra encore, quand la langue actuelle aura 
cessé d'être parlée. Inspiré par ce brillant fait d'ar- 
mes, Payva y a vu une matière qui rivalise avec tout 
ce qu'a produit le patriotisme dans la Péninsule. 
L'illusion de ses contemporains l'a placé au même 
rang que Virgile. Pour nous, moins prévenu en sa 
faveur , nous dirons qu'il ne peut prétendre à le 
suivre que de bien loin. Historiographe de Por- 
tugal, son père s'était voué à l'histoire de sa pa- 
trie: cette élude élait devenue chez lui une passion 
à laquelle il avait sacrifié tous ses moments. Héri- 
tier du même savoir, le fils espérait l'être un jour 
de son titre et de ses fonctions. Mais cette espé- 
rance fut une déceptron de l'amour-propre : un 
rival obtint la préférence. Dès lors le chagrin l'ar- 
racha pour toujours à son premier travail , ainsi 
qu'à Lisbonne, son lieu natal. Il alla s'ensevelir dans 
un village , non loin de la capitale , où il eut la poé- 
sie pour unique consolation. Cette retraite ne fut 
pas perdue pour les lettres : c'est là qu'il composa 
la Chauleis, grande épopée à laquelle est attachée 
sa réputation. C'est après l'avoir achevée qu'il ter- 
mina, en 1576, à quatre-vingt-quatre ans, sa longue 
vie , dont le travail avait seul adouci les amer- 
tûmes. 



PRÉFACE. 



XXTII 



Pourquoi ce poème est-il si peu contiu, malgré 
ses droits à trouver des lecteurs? 

i"* Il a toujours existé peu de rapports littéraires 
entre le Portugal et les contrées savantes de l'Eu- 
rope : ce royaume semblait en être totalement isolé, 
et sa littérature entièrement inconnue des écrivains 
qui, de nos jours, ont parlé de Tétat des lettres 
dans les contrées qui Tavoisinent; ils n'ont pas 
nommé un seul de ses poètes latins : Hallam , qui, 
bien qu'Anglais, devait connaître autre chose que 
ses vins , n'a pas un mot pour les latinistes de ce 
rovaume. 

A pareil silence, on croirait que la langue de Vir- 
gile n'y fut jamais cultivée, et, parce qu'ils n'en 
parlent pas, qu'elle y est universellement étrangère. 
C'est une erreur : les latinistes y sont nombreux; 
et n'eût le Portugal produit que la Chauleisj i\ 
serait loin de mériter pareille indidPérence. 

*i? La cause en est encore dans la difficulté de le 
comprendrCé On aime peu l'étude , et moins encore 
lorsqu'elle coûte de la réflexion et des peines. 
Présente-t-elle quelque difficulté, on se dégoûte; 
l'ouvrage, quel qu^en soit le mérite, est bientôt dé- 
laissé. La Chauléide, je l'avouerai, n'est pas sans 
embarras; Payva, malgré le jugement avantageux 
de ses vieux compatriotes , ne rappelle pas Auguste 
et le beau siècle. Ce n'est pas de Virgile, c'est d'un 



XXVIII 



PRÉFACE. 



modèle moins parfait qu'il a fait son étude. Stace , 
pour être intelligible , a toujours demandé un tra- 
vail que n'exige pas le chantre d'Énée. Chaque vers 
chez lui parait être un défi à l'intelligence du lec- 
teur, qu'il met souvent aux abois. Tel est quelque- 
fois aussi le stvle de Pavva, son imitateur. 

3^ Ce qui ôte à ce poème une partie de son inté- 
rêt, c'est l'emploi fatigant de la mythologie païenne. 
Dans un pays qu'évangélisa saint Thomas, où la 
Vierge est avec raison honorée , on s'étonne d'y 
voir si bien connues et si constamment implorées 
les plus hideuses divinités du paganisme, Pluton, 
Tisiphone, les Parques. Combien Camoens et le 
Tasse, comparés à Payva, sont sobres de pareil 
amalgame! Je n'ai trouvé qu'une héroïne, Hurbibié, 
qui promettait de l'intérêt. Eh bien, dès le qua* 
trième livre, Jupiter la sacrifie aux sollicitations 
de ces trois monstres. Voilà l'idée qu'une lecture 
rapide m'a donnée de cet ouvrage : puisse-t-elle 
n'en pas dégoûter quelque ami des lettres latines! 



SERRAM (Lupus). 

Serram est compté parmi les poètes latins dont 
s'honore le Portugal. C'est le jugement qu'en ont 
porté les critiques. Quant à sa famille et à son en* 



PRÉFACE. 



XXIX 



fance, pourquoi s'en occuper? Ils ont cru parler 
assez de sa vie, que de parler de ses ouvrages. On 
sait qu'il naquit à Évora, et qu'il y commença ses 
études. Quel en fut le succès? L'avenir s'est chargé 
de nous l'apprendre. Ce que nous savons , c'est 
qu'il alla à Coïmbre étudier la médecine; que ses 
connaissances dans cette partie lui firent une répu- 
tation qui parvint aux oreilles du roi Sébastien; 
et que ce prince s'empressa de l'attacher à sa per- 
sonne. Mais les soins qu'exigeaient ses fonctions 
auprès du monarque ne l'empêchaient pas de cul- 
tiver la poésie; et, sous ce rapport, son mérite 
s'accrut encore dans l'esprit de la cour. 

Un poème en quatorze livres fut le fruit de ses 
loisirs. C'est en vers élégiaques qu'il Pécrivit. Il est 
vrai que jamais matière ne commanda davantage 
la tristesse. Le vieil âge, en effet, interdit l'enjoue- 
ment, rembrunit les restes de la vie, et couvre 
d'un crêpe lugubre les moments qui l'approchent 
du terme fatal. Quel tableau à tracer que des traits 
altérés, des yeux affaiblis, une marche chance- 
lante, que des souffrances qu'elle entraîne à sa 
suite, sans permettre le plus léger adoucissement, 
que les pertes successives et souvent instantanées 
des facultés de l'esprit et des forces du corps! C'est 
en nous mettant sous les yeux ces tristes dévelop- 
pements, que l'auteur conduit et son poème jus- 



XXX PRÉFACE. 



qu'au dernier livre , et le vieillard jusqu'au lit fu- 
nèbre, où vient l'entourer tout ce qui lui fut cher, 
épouse, enfants, amis, serviteurs. Quels tendres 
remercîments à l'une, quels conseils salutaires aux 
autres, quels doux témoignages de reconnaissanci^ 
aux derniers! Pour donner une idée de la sensibi- 
lité et de la versification du poète, je vais citer une 
partie de ce passage, quoique je sois loin de parta- 
ger l'enthousiasme de son panégyriste. Sancliez, en 
effet, ne craint pas de le placer à côté d'Ovide, et, 
complimenteur exagéré, regarde l'ouvrage comme 
un envoi que lui aurait adressé le nourrisson de 
Sulmone, alors qu'il était relégué dans les glaces de 
laScythîe! 

L a La mort, Timpitoyable mort appelle d'une voix puissante le 
vieillard qui , privé de Tespoir de prolonger ses jours, a résolu 
de convoquer épouse , enfants , proches et serviteurs. A peine 
il les voit réunis 9 qu'il leur retrace, modeste dans son langage, 
sa prochaine destinée, a Tout homme , dit-il , est condamné à 
la mort : ainsi Ta ordonné la nature. Je vais donc , victime de 



I. « Tristia fata senem propero sermone vocabant, 

£t spes vivendi tota relicta fuit. 
Decrevit na^os , omnesque vocare propinquos 

Atque suos famulos , conjugiumque suum. 
Haec postquam conjuncta videt, serrqone modesto 

Alloquitar cunctos H sua fata refert : 



PRÉFACE. 



son arrêt , lai payer mon tribut. L'heare s'avance qui m'appro- 
che du trépas : écoutez et saisissez mes pai*oles. Tous les êtres y 
vous les voyez lever les yeux au ciel et rendre hommage à ce 
Dieu qui, juste et bienveillant^ gouverne, seul, le del et la 
terre , la mer et les nations. A lui tout obéit, les cieux le bénis^ 
sent , la religion et les lois en dépendent ; sur le point de le voir, 
recevez mes derniers adieux , adieux que je confie à votre sou- 
venir. Objet de ma tendresse , chère épouse , longtemps nous 
ont unis les nœuds de Fhymen. Toujours aimante et fidèle , ta 
droiture et ta foi ont fait mon bonheur. Aussi t'ai-je prodigué 
mes soins , consacré mon amour : je trouvais en toi mon sou'^ 



Mortales natura neci jubet esse dicatos : 

Quapropter teneor débita jura sequi. 
Ultima nunc properat moriendi gressibus hora , 
<o Vos , audite , precor, prendite verba mea. 
Cemitis hos omnes qui vivunt , toUere vultus 

Ad superos^ unum suspiciuntque Deum. 
Hic cœlum, terras > populos, totumque profundum 

Justitia judex et pietate régit. 
15 Huic parent omnes , hune cœlum laudibus ornât , 

Huic peiident leges, relligioque pia« 
Hune ego visurus vobis verba ultima fan 

Nunc cupio : vestra condite mente , rogo. 
Chara mihi conjux , charo dilecta marito , 
20 Sat mihi conjuncta es, sat mihi juncta thoro. 
Tu me tractasti summa pietate fideque : 

Est tua perpetuo cognita recta fides. 
Te semper colui , te semper, débita conjux ^ 

Ditexî , quoniam tu mihi robur eras^ 



XZXII 



PRÉFACE. 



den , ma consolation , mon unique ressource ^ je te devais toutes 
les jouissances de la vie. Mais le ciel a prononcé : la mort , Tim- 
pitoyable mort vient rompre les liens qui nous ont unis. » 

A ces mots , il la presse dans ses bras, et, le visage baigné de 
larmes , «< Je te recommande , ajoute-t-il , les fruits de notre 
union , ces tendres enfants qui m'ont été si chers ; serviteurs , 
parents^ tous les objets que m'ont attaches le sang et l'amitié, je- 
té les recommande. Conserve pour moi un souvenir, des soins, 
pour nos enfants , pour Dieu de pieux hommages , et rends à 
ma cendre les derniers devoirs... Et vous, mes enfants bien- 
aimés , vous , l'image de l'auteur de vos jours , je vous laisse 
pour héritage ma maison. Vivez heureux; ayez toujours pré- 
sents à l'esprît les hauts faits de vos pères ; relevez-les par l'é- 



25 Tu mihi solamen , tu seniiper gaudia vitae 
Praestabas misero ^ tu mihi sola salus. 
Hoc superis placitum est , hoc mors extrema requirit 

Solvere conjugiura , dnlcis amica, tuum. » 
Postquam dicta dédit , charis amplexibus illam 
80 Alloquitur, querulis flelibus ora rigans : 

En tibi coramendo communia pignora nostra , 

Ingenuam prolem , quae mihi chara fuit. 
Coromendo famulos , cognatos , insuper omnes , 
Quod mihi dilectum est, et genus omne meum. 
S5 Tu memor esto meî , tu nostris consule natis. 
Offer vota Deo , solveque justa mihi. 
O dulces nati , charî genitoris imago , 

Vos domus haeredes sponte relinquo meae. 
Vivite felices^ proavorum nomina clara 
ào Magnorum ante oeulos semper habete , precor. 



PRÉFACE. XXXIII 



clat de votre conduite ; et , de votre famille^ soyez à jamais l'or- 
nement. » 



BARCELLOS (François). 

Les contrées septentrionales semblent avoir eu, 
dans les temps modernes/ le privilège du genre 
facétieux^ et, sous leur ciel glacial, d'avoir recher- 
ché dans la difficulté vaincue la gloire inconnue 
aux muses latines de l'Europe méridionale. Qu'on 
ouvre le recueil des poètes danois : la pièce la plus 
saillante est la description d'une bataille, en vers 
hexamètres, entre chiens et chats. Le principal 
mérite de cette pièce consiste à ne contenir que des 
mots dont la première lettre est un C. Le succès de 
l'improvisateur prétendu paraîtrait un tour de 
force, s'il était vrai que tous ces mots se fussent 
placés sans recherche au bout de sa plume , pour 
former sans travail un sens raisonnable. Mais, ici, 
la contrainte est trop visible, pour ne pas donner 
un démenti à l'auteur. Tout lecteur pourra soutenir 
que ce n'est pas currente calamo que Catullus Cani- 
nius a composé ce poème, bien supérieur à celui 



Stemmata majorum claris extollite factis , 
Et generi vestro facta superba datel m 



XXXIV PRÉFACE. 



de Ptiblius Porcins, chantre immorlel du Pugna 
Porcorum. Gomme la pièce est peu connue, on me 
pardonnera d'en citer quelques vers, pour égayer 
la gravité de cette longue préface. 

I . « Je chante les combats fameux des chiens et des chats : 
Calliope^ préte-moi ta lyre; et vous, déesses du Pinde , répétez 
sur vos harpes savantes des chants dignes du cothurne tragique. 
Mettez aux prises les chats et les chiens ; montrez-les tour à 
tour vainqueurs et vaincus ; surtout , redites les motifs qui ont 
allumé ces débats. 

Les chats avides ont À peine aperçu un chien emportant un mor- 
ceau de chair sanglante; épris du désir de l'avoir^ ils l'attaquent, 
ils le saisissent tout triomphant , et le forcent d'abandonner sa 
proie. Aux cris dont il remplit le carrefour, accourent tous ses 
pareils. Devant eux, les chats sont accusés d'attaques meur- 



I.Qc Cattorum canimus certamina clara, Canumque. 
Calliope , concède chelyn : clariaeque Camena; , 
Condite cum citharis celso condigna cothurno 
Carmina : certantes Canibus committite Cattos. 

!> Commemorate cahum Causas, casusque Catorum, 
Cumprimis causas ceitamina cuncta créantes. 

Currentem cupidi cruda cum cai*ne Catellum 
Conspexere Cati ; captique cupidine cœnae 
Comprendunt Catulum , capiuntque coguntque carere 

10 Carne. Canis clamor complebat compita : cuncti 
Confluxere Canes : conamina cruda Catorum 
Conqueritur Catulus, captas carnesque, cibosque 



PRÉFACE. XXXV 



trières , et de Tenlèvement des nourritures que possédaient leui's 
rivaux. Les chiens se réunissent ; la cause, devant ce tribunal, 
est plaidée. A la tribune monte Castrutio , vieillard à la tête 
blanche et chenue, gardien de la cuisine. Les membres une fois 
arrivés : « Un intérêt commun , dit-il , a demandé votre pré- 
sence : les chats , race maudite , conspirent contre nous ; déjà 
ils remplissent les cuisines et nous ravissent notre pâture : ils 
os^it même nous charger de leur mépris ; ils font plus , ils nous 
forcent , le corps mutilé , à la retraite : Cecilius , vous le voyez , 
témoigne par ses cicatrices de leurs criminels efforts. La noble 
troupe de chiens fermera-t-elle les yeux , et , déboutée de sa 
cause , cessera-t-elle de régner à la cuisine? Plutôt la tortue dis- 
putera au cerf le prix de la course ^ plutôt le cygne mélodieux 
cédera la victoii*e à l'aigre cigale. Pourquoi tarder encore ? Ici , 



Commemorat : cunctis cum cognita causa Catellis , 
Concilium cogunt : canus calvusque culinae 

15 Custos Castrutio cathedram conscendere celsam 
Cœpit : cumque Canum consedit concio : Causa 
Communis , clamât , comités , commune ciebat 
Concilium : coeunt crudelia corpora Catti , 

20 Contrectantque Canum carnes , complentque culinam, 
Contemnunt Catulos. Contemnunt : cedere cogunt , 
Corpora corripiunt , contestaturque cicatrix 
Cœcilii Catuli conamina cruda Catorum. 
Conniveat , causaque cadat , careatque culina 

25 Clara caterva Canum ? Citius contendere cursu 
Cum cervo cancer cupiet , citiusque canoris 
Cogetiir creperis cycnus cessisse cicadis. 

r. 



XXXVI PRÉFACE. 



formons un camp ; que les chats , dans la plaine y en forment un 
autre; et qu'un combat décide à qui restera Tempire de la cui- 
sine. » ' 

Qu'on voie encore. la collection où fourmillent 
les latinistes de la Germanie. Parmi les œuvres poé- 
tiques qui la distinguent, la palme est acquise à 
l'épopée qui porte ce litre : De Arte hibendL Ce 
titre m'avait prévenu d'une manière peu favorable 
à l'auteur aussi bien qu'à l'ouvrage; mais j'ai bien- 
tôt reconnu que cette prévention était iujuste à l'é- 
gard de l'un et de l'autre, et que Opsopéus devait 
être regardé comme un poète raisonnable, parce 
qu'il use sobrement de sa matière, et que, s'il con- 
, naissait l'art de boire, il savait le traiter avec au- 
tant d'esprit que de tempérance. Ce poème est un 
petit chef-d'œuvre , si l'on en considère la marche, 
les détails et les vers. Ce n'est pas d'un vilain ivrogne 
que l'auteur se fait le panégyriste : ennemi de l'ex- 
cès, il semble n'avoir qu'un but, de l'interdire. 
Dans les trois livres dont se compose l'ouvrage, il 
n'est pas un seul endroit qui ne recommande la 
sobriété et n'inspire une gaieté tout à fait innocente. i 



Cur, Catuli , cur cessamus ? Conjungite castra , 
Conveniant campo Catti : certamine.claro 
30 Gontendant cui conveniat censura culinae. » 



PRÉFACE. XXXVII 



Si Ton applaudit à la versification toujours agréable 
et facile, on applaudira également à la morale 
qu'elle présente. Voici une citation : c'est presque 
le début du premier livre ; elle est propre à rassu- 
rer le lecteur, que le titre aurait pu scandaliser. 

I. a Ce n'est ni au lierre ni au laurier que je demande, pour 
prix de mes chants , une couronne : cette récompense sied au 
poëte qui célèbre en vers pompeux la guerre et ses désasti'es. 
Plutôt j dieu de la treille , ceins mon front du pampre qui t*est 
cher ! Au chantre de Bacchus convient une bachique guirlande. 
Que, grâce à tes faveurs , la vendange écume à pleins bords, et 
que chaque grappe emplisse un tonneau. Mon âme sera moins em- 
brasée des feux du Parnasse que du vin doux que goûtera ton 
poëte. Qu'à la vue d'une abondante récolte éclate l'allégresse , 
et que son opulence étonne le vigneron. Ce ne sont ni les eaux 
du Permesse ni les eaux d'Aonie que je demande : arrose seule- 



I. a Non ego compositis hedera lauroque coronis 

Cingere divinum quaero poeta caput : 
Talia grandiloqui sumant sibi prœmia vates , 

Qui fera sublimi cai-mine bella sonant^ 
5 Pampineis potius cingas mea tempora sertis ; 

Nam Bacchi vatem Bacchica serta décent. 
Fac felix plenis spumet vindemia labris, 

Impleat ut magnum quœlibet uva cadum. 
Proveniant largo genialia gaudia fructu, 
10 Horreat ut messes vinitor ipse suas. 

Non mage Pieriis érescent mea pectora flammi& ,. 

Quam mihi scribenti si nova musta dabis. 



xxxvui PRÉFACE. 



ment de ta douce liqueurmagorgealtérée, situ veux que mes vers 
exaltent tes orgies. Non , je ne veux pas écrire pour cette foule 
afTamée qui , le jour et la nuit , consume tes trésors : je chante 
ici un repas frugal , une boisson mesurée. De mes vers sont ban- 
nis le buveur infatigable, l'insatiable glouton , Tinfâme ^dctime 
d'une fréquente ivresse , race que tu abhorres. Car, dans ses 
actions , sur son visage , dans ses paroles ^ ne paraît pas la dé- 
cence ; quand elle boit, toute limite est franchie; il n'est ni ré- 
serve ni pudeur. Ils n'auront pas de place dans mes vers ceux 
(fui sont moins des hommes que de^ pourceaux immondes, 
dignes d'un nom , s'il en était , plus immonde encore. Mais elle 
sonnera, ma lyre , pour celui que touche le sentiment de la vertu. 



Non ego Castalias nunc postulo fervidus undas , 
Non sitio Aonias ambitiosus aquas. 
15 Arida vinifluo mea prolue guttura rore , 
Si tua vis tolli carminé sacra , pater. 
Haud mihi mens ardet lurconum scribere turbae , 

Nocte dieque tuas quae maie perdit opes. 
Symposium licitum concessaque vina canemus : 
20 Non erit in nostro carminé lurco hibax, 

Non turpis comedo^ non ebrietate frequenti 

Infâmes , penitus gens odiosa tibi , 
Qui neque sunt factis , neque fronte , vel ore pudici , 
Omnem qui superant sorbitione modum , 
^^ Queis nihil e$t pensi , queis spernitur omnis honestas , 
Hos ego submoveo prorsus ab arte mea. 
Quos bene non homines , sed fœdos judico porcos^ 

Et si quid porcis fœdius esse potest. 
His meaplectra sonant, ratio quos tangit honesti , 



PRÉFACE. XXXIX 



que l'honneur guide y qu'intéresse une réputation inaltérée ; ce- 
lui encore près duquel ne craindrait pas de s'asseoir la mère 
vertueuse, et la vierge dont la vertu n'a pas soufTert d'atteinte. » 

Ces deux poëtnes, par leur nature un peu pro* 
fane , ont peu de rapport avec ceux qui ont occupé 
les Portugais, amis de la langue latine au seizième 
siècle. Leur caractère, si j'en juge par leurs com- 
positions, n'admettait guère la plaisanterie, et au- 
rait, ce semble, rougi de s^abaisser à pareilles 
bagatelles. Chez eux , tout était grave et décent : 
dans les sept volumes que je parcours, respirent 
partout noblesse et religion. Aussi est-ce dans les 
livres qui inspirent l'une, et parmi les héros qui ont 
pratiqué l'autre, qu'ils ont puisé la plupart de 
leurs sujets. Si leur imagination n'a point d'écarts, 
peut-être aussi u'a-t-elle pas assez de vivacité, et ne 
se resçent-elle pas assez du ciel ardent de la pénin- 
sule. Quant au style, terne parfois et peu poé- 
tique , il ne relève pas des idées trop souvent comr 
munes. 

C'est surtout à Barcellos que s'adresse ce repro- 
che. Ce nom, il l'emprunta de sa ville natale; et 



30 Et quos ducit honos et bona fama movet : 

Cum quibus audebunt matres potare pudicae, 
Gastaque non Idesa ^irgo pudicitia. » 



XL PRÉFACE. 



son but fut de cacher la honte de son origine. Mais, 
tout innocent qu'il en était, il voulut, par sa re- 
traite dans un ordre religieux, expier le crime des 
auteurs de ses jours. Aussi, à peine arrivé au terme 
de ses études , il devint bientôt , chez les Hiérony- 
mites, un modèle de régularité : sous le cilice, 
loin d'oublier la poésie qu'avait cultivée sa jeunesse , 
il s'y livrait encore dans un âge avancé, et grossis- 
sait ainsi le nombre de ses productions poétiques. 
Je ne sais quel sentiment lui en commanda le sa- 
crifice. A cet auto-da-fé échappa seul un poëme en 
quatre livres, le Triomphe de la Croix y grand et 
beau sujet qui ne permet pas la froideur. Cepen- 
dant je n'ai rien trouvé qui annonce l'inspiration ni 
le talent. Barcellos avait plus de piété que de verve. 



DU RAM (Antoine Sigueyra). 

Les deux membres les plus distingués de la com- 
pagnie de Jésus ont trouvé parmiles amateurs des 
lettres latines deux panégyristes qui, à deux épo- 
ques bien éloignées l'une de l'autre, leur ont consa- 
cré lesprémicesdeleur talent poétique. L'un, Duram, 
avant sa seizième année, avait, en i635, composé 
Vignatiade dans la capitale de la Lusitanie ; l'autre^ 



PRÉFACE. xLi 



Franck, dans une école de la ville de Liège, avait à 
dix-huit ans composé^ en 1 759, la Xaçériade. Au mo- 
ment où je publiais la traduction française de ce se- 
cond poème, je n'avais pas encore soupçonné l'exis- 
tence du premier. Je n'aurais pas manqué d'établir 
entre eux un parallèle; et sûrement^ telle est aujour- 
d'hui mon opinion , je n'aurais pas laissé la préémi- 
nence incertaine : vive le poète belge! Lisbonne 
applaudissait aux succès précoces de son jeune 
élève, et se promettait de le trouver sur le Parnasse 
au même rang que ses guerriers sur les champs de 
bataille, quand l'ordre de son père l'arracha au cuhe 
des Muses, pour le livrera l'étude de la philosophie 
et de la jurisprudence. Il obéit à regret; mais si 
j'en juge par ces vers presque virgiliens qui termi- 
nent /'i^/za//W^, son éloignement du Parnasse ne 
devait être que momentané; son goût devait un 
jour l'y ramener. 

L « Ainsi je chantais Ignace et ses compagnons, quand un 
ordre de mon père m'envoya étudier , hors de ma patrie^ les 
mystères de la nature. Il fallut appendre ma flûte à la branche 
d'un laurier. Un jour elle rendra des sons plus éclatants; le 



I. a Haec super Ignati gestis , comitumque canebam , 

^ 

Cum me sécrétas rerum cognoscere causas 
Ire jubet genitor. Quare mea fistula lauro 



XUI 



PRÉFACE. 



silence lui donnera plus de force, et je pourrai m'abreuver d'une 
liqueur nouvelle. » 

Le voilà donc sur un nouveau ihéâtre. Si, poète 
précoce, il a étonné sa ville natale par des succès 
dans ses premières études, il n'étonnera pas moiqs, 
jurisconsulte novice, la ville de Coïmbre par des 
travaux différents. Ce fut pour lui un jourde triom- 
phe que celui où, pour obtenir le doctorat, soute- 
nant une thèse, il improvisa devant une savante 
réunion un poème qu'il intitula le Temple de VE- 
ternité. Ses auditeurs, dans l'éloge de leurs devan- 
ciers, reconnurent leur propre panégyrique. Com- 
ment lui auraient-ils refusé leur suffrage? Mais il n'y 
jouit pas longtemps de sa gloire :, un ordre nouveau 
le rappela à Lisbonne , où son séjour ne fqt que 
passager. 11 venait de s'y marier, quand le roi, 
instruit de son mérite, le nomma auditeur dans 
une des capitaineries du Brésil, place honorable 
autant qu'avantageuse : cependant il l'aurait sacri- 
fiée sans regret à son penchant pour la poésie, si 
la pauvreté ne lui en avait pas fait un besoin. Pour 
un ami des Muses, quel séjour que Maragnon ! Il 
n'avait là, pour entendre ses vers, que les Tapuyas 



Pendebit^ quo plena sonet , viresque tacendo 
5 Acquirat^ possimque novos haurire liquores. » 



PRÉFACE. xuii 



et les Tupinambas, dont Toreille était aussi çlure 
que les noms sont antipoétiques. Aussi Tinfluence 
du climat et l'ennui altérèrent promptement sa 
santé : il mourut en 164^2 ^ à l'âge de vingt-cinq ans, 
dans la ville de Saint-Louis. Lisbonne déplora sa 
perte , car son enfance promettait une brillante 
maturité. 

Duram , dans les trois livres de Vignatiadey son 
œuvre principale , n'a pas justifié les éloges de ses 
contemporains. Le style sans doute est de bonne 
école; Virgile était alors son étude et son modèle. 
Pour son goût, c'est celui de son époque, où l'em- 
ploi de la mythologie déparait toutes les compo- 
sitions soit latines, soit portugaises. Au milieu des 
divinités que le poète va chercher tour à tour et 
souvent à la fois dans l'Olympe et l'Enfer, un héros 
païen n'aurait pas été par trop déplacé ; mais il en 
est autrement d'un chrétien : on peut assurer que 
saint Ignace ne se trouva jamais en plus mauvaise 
compagnie. Qu'il ait eu, au siège de Pampelune, 
maille à partir avec les Français , on sait qu'ils ne 
l'ont pas oublié; ne dirait-on pas même que leur 
ressentiment dure encore ? Mais a-t-il aujourd'hui 
quelque affaire à démêler avec MarsPVénus prenant^ 
et pour cause , le parti du dieu des combats , semble 
lui déclarer, dans ce poème, une guerre impla- 
cable : c'est elle qui soulève contre lui tous les 



XLIV 



PRÉFACE. 



monstres duTartare, Harpyes, Gorgones, Furies. 
C'est à ses instigations que Libitîne lui porte le coup 
fatal; vengeance prématurée sans doute, qui punit 
le chef des victoires que remporteront ses disciples 
sur la mère et le fils. 



M A CE DO (François). 

Quelle gloire pour Coïmbre, déjà fière de son 
illustre académie, d'avoir produit un homme tel 
que François Macedo! Nulle contrée du monde, 
quelle qu'ait été Tétendue de ses connaissances 
scientifiques ou littéraires, n'a jamais vu nattre son 
égal. Là où de vrais talents auraient trouvé de 
justes et d'éclairés appréciateurs , que de couronnes 
et de statues lui auraient été décernées par un suf- 
frage unanime! Faut-il citer Paris, qui ne fut pas 
un modèle de reconnaissance envers les religieux 
distingués dans les lettres ?Ne l'a-t-on pas vu, après 
un long oubli des lettres et de la religion , honorer 
les disciples de saint Benoit, en leur assignant des 
places où leurs noms rappellent leurs services et 
réclament des hommages? Et le Portugal, que n'a 
pas gâté le nombre de ses érudits, ne montre qu'une 
froide indifférence pour un enfant de saint François, 



PRÉFACE. XLV 



lequel les a tous surpassés en savoir et talent litté- 
raire ! Les premiers consacraient des années à pâlir 
sur des dates , et composer des volumes qui gisent 
aujourd'hui 9 sans lecteurs, dans le fond des biblio- 
thèques ; le second , prodige d'érudition et de mé- 
moire, venait, sans étude et sans effort , impro- 
viser, sur les matières les plus ardues, la science à 
la Fois et la poésie ; et son succès arrêtait à l'entrée 
de cette double carrière quiconque n'aurait pas 
craint de s'y lancer après lui. Dans l'ordre où il a 
passé les dernières années de sa vie, il n'est aucun 
de ses membres qui l'ait autant illustré par le nom- 
bre et la diversité de ses connaissances; et cepen* 
dant il n'est aucun à qui le Portugal ait témoigné, 
jusqu'aux temps modernes, plus d'indifférence : 
car sa contrée natale prononce à peine son nom 
et connaît à peine ses ouvrages, qu'on ne cessaitde 
lire et d'admirer au temps où ses modèles trou- 
vaient encore des appréciateurs. Dans la capitale 
du monde chrétien , sa présence fut désirée ; les 
souverains pontifes Alexandre VU et Grégoire IX 
lui prodiguèrent les éloges, et l'auraient attaché à 
leur personne, si Venise, qui déjà avait placé son 
buste dans la plus fameuse de ses bibliothèques, 
pour des vers composés à la louange de cette 
illustre cité , ne lavait pas enlevé à Rome par de 
séduisantes propositions. 



xLvi PRÉFACE. 



Padoue venait de perdre le plus célèbre de ses 
professeurs; pour être à même de le remplacer, 
Venise porta les yeux de tous côtés, et, après de 
sérieuses recherches, elle les arrêta sur François 
Macedo, comme capable de remplir^ à la satisfaction 
publique, cette grande fonction : la chaire lui est 
destinée; mais un concours a lieu, les rivaux sont 
en présence; tous, par leur âge et leur savoir, an- 
noncent de justes prétentions. Macedo parait à son 
tour: la matière est indiquée, c*est l'histoire des 
trente premiers papes. Lepubhc,àqui va répondre, 
demande-t-il des vers , demande-t^il de la pix)se? 
Cette question produit une profonde stupeur. On 
se regarde, on attend; la surprise fait place à une 
réelle admiration, soutenue jusqu'au dernier des 
mille vers, dont chacun semble avoir été soigneu- 
sement travaillé. Le choix ne resta pas incertain. 

Cette étrange facilité avait été un présage conçu 
avant même sa naissance. Il était encore enfermé 
dans le sein maternel, qu'on entendit sortir une voi\ 
enfantine, laquelle fit augurer qu'ayant commencé 
à parler avant de naître, un jour il aurait le don de 
l'éloquence. L'avenir justifia ce pronostic. A qua-^ 
torze ans, il entra dans la Société de Jésus , et pro- 
fita, pendant la courte durée de son noviciat, des 
leçons et des exemples qu'il avait sous les yeux : 
c'est pendant cet heureux lemps qu'il étudia la rhé- 



PRÉFACE. xLvii 



torique^ la philosophie , l'histoire; et chaque jour 
prouva dans la suite que son temps avait été uti- 
lement employé. 

Cependant , malgré la reconnaissance qu'il devait 
aux jésuites, Macedoles quitta pour entrer dans un 
couvent d'observantins , où il ne tarda pas à se 
distinguer : les disciples de saint Ignace, après les 
premiers regrets , ne tardèrent pas à se consoler de 
cette perte, qui, toute sensible qu'elle devait pa- 
raître , était adoucie par le nombre et le succès de 
leurs élèves. J'avouerai pourtant qu'ils n'en eurent 
jamais d'aussi étonnant; et peut-être trouverais-je 
ici des incrédules, si le détail de ses productions 
n'avait pas pour garant ses propres aveux et le 
témoignage nçiéme d'un jésuite, le P. de Feller. 
Orateur, il prononça soixante discours latins, cin- 
quante-lrois panégyriques, trente-deux oraisons 
funèbres ; poète, il composa quarante-huit épopées, 
deux mille six cents poèmes héroïques , cent vingt- 
trois élégies, cent dix odes, trois mille épigram- 
mes; improvisateur enfin, cent cinquante mille 
vers faits sans préparation sur des sujets imprévus. 
Le temps a fait main basse sur une immense partie 
de ces compositions, débitées avant l'année 1576, 
époque de sa mort. Mais ce qui a pu échapper à ses 
coups, et parvenir jusqu'au temps présent, est un 
témoignage suffisant de son incroyable fécondité. 



xLviii PRÉFACE. 



Ces débris , renfermés en deux volumes in-4^9 sont 
le plus bel ornement de la littérature latine, au 
xvi^ siècle, dans le Portugal. Voici un passage que 
j'en extrais; c'est la description d'un combat de 
taureaux à Madrid , plus difficile peut-être a tra- 
duire qu'à composer. 

I. « Est-ce une erreur? ne vois-je pas un admirable spectacle 
au milieu du théâtre , là où des barrières ferment une vaste en- 
ceinte et fixent les loges sur la poussière? Ici s^offrent aux regards 
bétes féroces, monstres divers : d'un côté le taureau, avec un 
front menaçant , s'élance au combat ; de l'autre le lion , plein 
d'ardeur, remplit toute l'enceinte ; plus loin s'avance la tigresse, 
non celle qui , diversement tachetée , longe le bord des fleuves , 
et court avec fureur à la recherche des petits que lui enlève 
un ravisseur. 

Le premier , la tète armée de cornes foudroyantes, le taureau 
fond , audacieux , sur l'ennemi ; mais incapable de résister, la ti- 



I. ce Fallor? An in medio spectacula mira theatro 
Aspicio , qua septa fori spatia ampla coercent 
Compacta e tabulis, caveamque in pulvere firmant? 
Hic sese objiciunt variorum horrenda ferarum - 

5 Monstra oculis : hinc fronte minax in praelia taurus 
Irruit : hinc totaro leo fervidus implet arenam. 
Parte alia ingreditur variato tegmine tigris 
Yersicolor , non illa ferox , non qualis ad undas 
Saepe furit , raptis cum prosilit effera natis. 

10 Pnmus in adversos cornuto fulmine taurus 

Irruit audaci : non lenta résistera tigris 



PRÉFACE. xLix 



gresse bientôt cède , tourne le dos, et, dans sa fuite^ abandonne le 
champ de bataille au vainqueur. Le lion , devant lui, un instant 
s'arrête : la pudeur le retient^ ainsi que la valeur ; mais, voisin de 
la demeure d'un ours, il y pénètre^ et, malgré la lutte, le force 
d'en sortir. Vide enfin , elle est laissée au pouvoir d'un nouveau 
maître. Mais, impuissant à repousser la violence du taureau, c'est 
au lion qu'il préfère s'attaquer. Les voilà donc aux prises. Ce- 
pendant qui jamais osa rivaliser avec un lion ? Celui-ci s'élance » 
impétueux, lui déchii*e les flancs de ses griffes , l'étend sur la 
poussière ; puis, dans l'excès de la rage , montradt un menaçant 
ivoire , lui laisse sur la face l'empreinte de ses dents , et met un 
terme au débat. 

Voilà qu'un coursier farouche , à l'allure altière , vient fouler 
l'arène. En, même temps un mulet accourt au combat , tous deux 
sauvages, tous deux les pieds garnis de fer. Impatient à leur 



Evaluit; dajt terga fugae, campumque reUnquit 
Yictori ; paulum adversus leo substidt : illum 
Et pudor , et virtus tenuit ; mpx cessit in ursi 

15 Yicinam caveam , luctantem exire coegit ; 

Tandem abiit, dominoque domum concessit habendftm. 
Non pods ille tamen violento obaistere tauro : 
Maluit adverso sese objectare leoni. 
Ërgo ineunt pugnam. Sed quis contra ire leoni 

20 Audeat ? Insiluit rapidus , mox unguibus armos 
Effodit, stravitque solo. Tum concitus ira 
Versus in adversum dentés distringit , et ora 
Morsibus impressis laniat , solvitque duellum. 
Ecce férus sonipes vestigia ponit arena 

25 Arduiis insultans , pariterque ad prœlia mulus 

d 



PRÉFACE. 



vue, le taureau part avec la rapidité du vent Le coursier, furieux 
de sa blessure, se dresse sur ses jarrets ; puis , resté suspendu , 
lui applique la sole sur le front, et, par des coups trois et quatre 
fois renouvelés , évite les atteintes des cornes meurtrières^ 

Enfin le chameau , sur la scène , apporte sa gigantesque 
masse, le chameau, l'égal du taureau en force aussi bien qu'en 
courage : car, au moment que l'ennemi accourt et lui apporte 
de cruelles blessures , le chameau , soulevant son vaste poitrail , 
reculé à la faveur de son poids, et, d'un coup terrible, lui écrase 
la tête. Â pareille atteinte ne peut résister le taureau. 

Pour les dogues audacieux , qui donc les excite au combat ? 
Je les vois , la gueule ouveite, harceler le taureau de leur pour- 
suite, s'attacher, en grinçant, tantôt à ses tempes , tantôt à ses 
oreilles , l'assaillir à la fois dans ses mouvements divers ; et ce- 



Prodit, uterque ferox, calcesque armatus uterque. 
Non tulit hos taurus ; vento ruit ocyor : ille 
Vulneris impatiens , sublatis cruribus alte 
Imminet , et fronti calces allidit , et ictus 

so Ter , quater ingeminans , fera comua calcibus exit. 
Quid moror ? In scenam vasta se mole camelus 
Invexit; non ille animis, non viribus impar; 
Namque ferox taurum venientem et dira ferentem 
Yulnera, sublato crure anteriore, recessit 

35 Ponderis hospitio , frontemque oppressit iniquo 
Vulnere. Succubuit tanto sub pondère taurus. 

Quid tamen audaces ad prœlia dira molossos 
Excitât? En rictu^ diductis faucibus, instant. 
Et taurum exàgitant , auresque et tempora circum 

bo Dentibus infrendunt : versum mox , agmine facto, 



PRÉFACE. 



LI 



pendant^ ennemi toujours intrépide, il se tourne et retourne 
sans cesse ^ et semble, pour les blesser^ aiguiser ses dents. 

Environné de tous côtés et de tous côtés en butte à leurs mor- 
sures , le loup , tout blessé , leur oppose adresse, artifice et cou- 
rage. Le renard parcourt y éperdu , Tamphithéâtre. Ce qu'il 
cherche, c'est une issue, c'est une porte ouverte pour la fuite; 
car déjà la mort le tient environné. Pressé des chiens, il sent 
déjà la pointe de leurs dents ; il fuit , il ruse encore, mais sans 
succès, et tombe déchiré sur la poussière. 

Pour le chat, il n'éprouve pas un meilleur sort : tout sauvage, 
tout habitant qu'il est des forêts et de leurs réduits, il expire 
sous la dent des dogues irrités. 

Le singe vient , à son tour , égayer le spectacle. Assis sur le 
dos du mulet, qui refuse de porter ce fardeau inaccoutumé , ce^ 



Invadunt : tamen ille suos se volvit in orbes 
Intrepidus , duros acuens in vulnera dentés. 

Ergo lupum cingunt , circumstant uïidique , morsus 
Intentant \ ille arte , dolo , viitute répugnât 
45 Saucius* En toto vulpes vesana theatro 

Yersatur, quaeritque vias , atque ostia quserit 
Ceita fugae , quoniam média jam morte tenetur. 
Jamque instare canes , dentataque fulmina sentit : 
Nil tamen uUa fuga , vulpina aut proficit arté. 
50 Stemitur infelix medio lacerata theatro. 

Nec melior felem sors excipit : efferus ille 
Silvarum quamvis latebras et lustra colebat , 
Incidit in dentés , rabidorumque ora molossûm. 
Exhilarat risu spectacula simia , muli 
55 Insidens dorso , qui pondéra ferre récusât 

il. 



LU PRÉFACE. 



lui-ci , de bonds redoublés, agite inutilement ses flancs : celui-là 
allonge ses bras et ses mains , et ,* pareil au lierre , reste, à l'aide 
de ses griffes , fortement attaché à sa monture. 

Le spectacle cependant touche enfin à son terme. Voilà , pour 
les témoins , le moment du repos : revoir la guerre est , pour 
eux, un espoir évanoui. Resté maître de Tarène, le taureau 
porte les cornes droites , la tète haute , le poitrail enflé d'un gé* 
néreux orgueil. 

A cette vue , le monarque de l'Hespérie a cessé de balancer : 
il mai*que la place où sera* frappé le vainqueur. Philippe va 
combattre , la charge sonne : le bras teint en rouge , il harcelle 
l'agresseur de tant d'ennemis ; et, dans un nuage épais de fumée, 
lançant, avec la violence du tonnerre, son foudre sulfureux, il 
le dirige à l'endroit du front où les cornes s'écartent, et, d'un 



Insolita , excutiens repetitis saltibus armos. 
Quid juvat ? Illa manus , exertaque brachia tendit , 
More hederae , injectis et firmius unguibus hseret. 
' Jamque adeo sortita suum spectacula finem , 

60 Parta quies cunctis , nec spes erat ulla videndi 
Ulterius bellum , solus ddminator arena 
Taurus , et elatis in pulvere cornibus extat 
Insultans, timido attollens praeconia fastu. 

Non tulit Hespeiiae rex maximus : in sua signât 

65 Yulnera victorem. Dat sese in bella Philippus , 
Insonat ex alto , dextraque rubente lacessit 
Insultantem aliis : tetrique in nubila fumi 
Sulfureum torquens violento turbine fulmèn , 
In mediam , qua se pandunt duo comua , frontem 

"îo Dirigit, et certo victorem percutit içtu. 



PRÉFACE. Liii 



coup assuré^,' il atteint le vainqueur. Qui le croirait? le sang a 
coulé y la victime est terrassée avant qu'on ait entendu le bioût , 
et que Téclat ait révélé la foudre. C*est au milieu de Tarène que 
roule en tombant le taureau. >« 



GOËLHO (George). 

Voici le descendant d'un de ces braves qui ac- 
compagnèrent Gama dans l'expédition entreprise 
pour donner de nouvelles possessions au Portugal. 
Malgré les grands intérêts auxquels il allait être 
associé, les intérêts de son fils ne furent pas mis en 
oubli. Au moment du départ, ce fut aux soins des 
hommes les plus recommandables de Lisbonne 
qu'il confia sou éducation. La langue latine, qui 
en était alors réputée la partie essentielle, lui devint 
si familière, qu'il était à même d'en donner des 
leçons aux maîtres consommés. Les premières con- 
naissances une fois acquises , il lui fallut quitter sa 
patrie pour Salamanque^ le rendez-vous ordinaire de 



Mira fides ! Prius efTiiso super ossa cruore 
Pi*osti*avit , sonitum quam quis discemere possit 
Auribus, atque suo fulmen seprodidit ictu. 
Sternitur in média taurus revolutus arena. » 



iiv 



PRÉFACE. 



la jeunesse portugaise, qu'y attirait le pei^fectionne- 
ment de ses études. Après quinze ans passes dans la 
pratique des obligations que lui imposaient Thon- 
neur et la vertu , Lisbonne le rappela au sein de sa 
famille; il y revint précédé d'une éclatante réputa- 
tion de savoir : aussi un accueil bienveillant lui 
prouva l'estime des habitants; le roi lui-même, 
juste appréciateur du mérite, s'empressa de récla- 
mer ses services, le nomma son secrétaire, cha- 
noine d'Évora , avec promesse d'un bénéfice plus 
avantageux qui se fit attendre , mais dont il fut dé- 
dommagé par la libéralité du monarque. 

Ses nouveaux devoirs n'éteignirent ni sa verve, ni 
ses goûts: à la cour, il resta poète, et poète estimé. 
C'est au roi-cardinal qu'il dédia sa première compo- 
sition, la Patience chrétienne. Pareille matière ne 
peut manquer de donner lieu à quelqueétonnement. 
On se demandera sûrement : Est-ce bien le sang 
d'un héros qui coule dans les veines de l'auteur? 
Est-ce bien cette vertu qu'un guerrier partant pour 
'les combats devait inculquer à son fils? Et le jeune 
homme, pour la pratiquer, n'eut-il pas besoin de 
faire violence à son caractère ? Il est vrai que, dans 
sa dédicace, le poète, sans doute pour justifier son 
choix, retrace au prince la jeunesse d'Achille ; mais, 
quoi qu'il en dise, le héros de la Grèce était un 
assez imparfait modèle de patience : il me semble 



PRÉFACE. Lv 



plus liabitué à rudoyer son maître, qu'à se pliera 
sa volonté; à gagner des victoires , qu'à les chanter. 
Coelho n'avait rien du feu guerrier qui , des pères, 
passe quelquefois aux enfants; il l'a prouvé dans la 
plupart de ses poésies. Outre ce poëme, une dou- 
loureuse lamentation au tombeau du Sauveur, un 
chaut de joie sur l'image de sa mère retrouvée mi- 
raculeusement au milieu des ruines de Tunis, une 
élégie sqr la mort d'un infant , des plaintes de Marie 
au moment où son fils fut détaché de la croix : 
voilà des sujets qui, tous, annoncent des qualités 
moins guerrièi'es que pacifiques, plus propres au 
religieux qu'au héros. Pour être des improvisations, 
ainsi que les nomme l'auteur, ces pièces ont trop 
l'air de la méditation et du travail. 

Quoiqull ne soit pas de chrétien qui ne partage 
les sentiments du poète dans ces divers morceaux, 
et n'aime en lui, comme en ses compatriotes, une 
vive piété, je m'arrête : la crainte de fatiguer le lec- 
teurme force de terminer ici cette longue nomencla- 
ture. Sans doute il est en Portugal d'autres poètes 
latins qu'ont produits les âges passés et récents; mais 
leur nom n'est pas renfermé dans le recueil où j'ai 
puisé mon érudition. Tant que l'éducation publique 
fut remise aux soins des jésuites, sûrement ces ha- 
biles instituteurs , par leurs propres compositions et 
celles de leurs élèves, entretinrent le feu poétique, 



Lvi PRÉFACE. 



et montrèrent par des exemples et des leçons la 
route du Parnasse. Aussi , dans les contrées où fu- 
rent méconnus leurs services, ne furent pas mécon- 
nus leurs talents; et leurs noms y sont encore 
prononcés avec éloge par quiconque a conservé 
quelque teinte de littérature ancienne. 

En serait-il autrement en Portugal? et parce 
qu'il s'y est trouvé un homme qui, par haine de la 
religion , se fit leur ennemi , sont-ils donc déshéri- 
tés de la gloire qui leur appartient , d'avoir donné 
à ce royaume presque tout ce qu'il a compté de 
littérateurs et de savants? Il faut l'avouer, des Por- 
tugais, et peut-être un grand nombre, partagent 
encore cette prévention, dont une triste expérience 
devrait les avoir corrigés. 



CARYALHO (Fr^incisco). 

A propos des jésuites, je ne puis m'empécher de 
parler d'un Essai sur la littérature portugaise ^ le- 
quel a paru à Lisbonne en 1846. L'auteur est un 
chanoine de la métropole : son nom est Carvalho. 
Ce nom-là a quelque chose de sinistre, auquel se 
rattachent des sentiments hostiles à tout ce qui est 
religieux; et je crains bien que les victimes de l'an- 



PRÉFACE. Lvii 



cieiî ministre ne le soient encore aujourd'hui du 
chanoine. Cet Essai littéraire justifie à chaque 
page mes soupçons. Ce n'est, en e(Tèt, qu'une 
longue invective contre les jésuites, invective qui 
ne peut étonner; caria Société aura toujours pour 
ennemi quiconque est ami du jansénisme et des 
révolutions. 

Mais quelle est donc l'accusation que lui intente 
M. Carvalho? c'est d'avoir, en Portugal, importé 
l'ignorance. Qui le croi ra? il était réservé à ce royau me 
seul , parmi tous les États européens , de les décla- 
rer coupables de semblable méfait; car il est re- 
connu que réducation, dans aucun pays, ne fut 
jamais plus florissante que sous leur direction. Lis- 
bonne et Coïmbre auraient-elles donc été moins 
bien partagées que Paris et Rome, que Vienne et 
Liège? Il serait difficile de le persuader; avant 
de les employer, ]a Société avait soin d'étudier ses 
membres, et donnait à chacun sa destination. Elle 
n'envoyait dans les collèges que des sujets dont 
certain chanoine en Portugal aurait pu et pourrait 
encore recevoir des leçons. 



BASTOS (Francisco). 
Mais, depuis l'extinction de la Société, quels 



iviii PRÉFACE. 



progrès a donc faits rînstructton littéraire? Je suis 
à même d'en donner un échantillon. Je le prends 
dans le n° ^i y année 1843, du Journal de la So- 
ciété catholique , lequel s'imprime dans la capitale. 
C'est une élégie sur la mort de Mgr. Capaccini, 
nonce à Lisbonne > élégie composée, le croira-t-on? 
par un professeur de langue latine. M. le professeur 
est peu versé dans la connaissance de la prosodie. 
Cette étude lui aurait été pourtant nécessaire : il lui 
devrait de savoir ce que n'ignorait pas le plus mince 
écolier des jésuites. Je cite cette pièce, pour mon- 
trer où en est la versification latiile sous leurs 
successeurs , et quel pas il reste à faire pour les 
égaler. 



ELEGIE. 

I. « Cet astre qui resplendissait au ciel est donc éteint, hélas! 
enfin ; et le Tibre a perdu son éclat ! La superbe Rome , dans 
ses murs attristés , pleure Capaccini : avec elle pleurent les chré- 
tiens; partout régnent le silence et le deuil. Il n'est plus cet 



L « 111e noYUS nitido qui sol fulgebat Olympo , 
Occidit^ heu ! Tandem ej: Tibridis omne decus ! 

Mœsta Capaccinum altae lugent mœnia Romœ ! 
Christiades lugent, orania mœsta silent^ 

Prœsule tanto extincto , cui Ecclesia mater , 



PRÉFACE. 



ux 



illustra prélat qui, fils sensible^ ahnait TËglise, chérissait Gré- 
gou*e , honorait la religion : un bienfait du Tout-Puissant lui en 
avait confié la garde. L'Europe ira pas d'État qu'il n*ait par- 
Gouini ; mœurs , crimes, vertus , peuples et héros , il connais-^ 
sait tout, et foulait aux pieds les richesses passagère^ et les trésors 
dont le monde est prodigue. Que de fois sa prudence , parmi des 
ennemis , a ramené la concorde et calmé , Iris céleste , entre les 
nations , de sourds mouvements , de sanglants débats ! A sa suite 
repai*aît l'aimable Paix , et chacun enfin peut en goûter les dou- 
ceurs. Quelle joie pour l'Église , quels doux transports pour 
Grégoire ! 

Grégoire appelle Capaccini , et , d'une bouche amie : « Prélat 
illustre , dit-il , ô Capaccini ! reçois en ce jour la récompense de 
tes services et le prix de tes vertus. Le retour de la paix va ren- 



Gregorius cordi, sanctaque relligio : 
Cui datus Omnipotentis erat nam munere custos. 

Europae lustrans omnia régna , videt 
Et mores hominum multorum et crimina fœda , 
10 Virtùtesque virûm ^ sub pedibusque premit 

Fluxas divitias , mimdique opulentia dona : 

Gentes concilio et fœdere pacificat. 

nie graves populorum iras csecosque tumultus. 
Iris de cœlo , plaçât ; et aima redit 
15 Cunctis Pax : hodie omnes tandem pace fruuntur ; 
RelUgio exultât^ Gregoriusque frémit. 

Ad sese vocat , et verbis compellat aroicis : 
« Magne Capaccini, jam accipe digna tuis 

Officiis tibi débita, quae sint prsemia laudis. 



Lx PRÉFACE. 



dre au monde le siècle d'or ; la guerre est bannie , la joie éclate , 
les temples sont parés. O toi que mon cœur préfère à la Yie^ pré- 
lat chéri, qu'ont éprouvé tant de dangers, voici la chaire de 
Pierre, le trône des pontifes, le siège auguste que le Seigneur 
t'a donné de posséder ! » 

Il dit : hélas! la pâle Mort arrive avec la nuit; et, d'une 
cruelle blessure, perce le cœur du prélat. Le monde ne le méri- 
tait pas : aussi s'élève-t-il vers les célestes demeures; la joie 
accompagne sa marche. Il va partager avec les immortels d'im- 
mortelles jouissances. Il n'est plus : nos pleurs seront intaris- 
sables. Oh ! quand Rome trouvera-t-elle son égal , l'Église un 
ministre pareil, l'univers un pareil maître? Il n'est plus; mais 
que dis-je ? la nuit n'est que momentanée pour le sage digne de 



20 Compositis rébus , saecula jam redeunt 

Aurea mundo; bella fugantur, gaudia régnant, • 

Templa decorantur. O mihi luce magis , 
Care Capaccini , tantis defuncte periclis ! 

En Pétri cathedra , en pontificale , tibi 
25 Ecce Deus solium augustum permisit habendum. » 

TaUa fatus erat, pallida cum tenebris 
Mors veniens diro confixit vulnere pectus. 

Quo dignus mundus non erat , aethereos 
Ille petit cursus, la^us sublatus in auras, 
30 GœUcolas înter gaudia sancta capit. 

Occidit , occidit ! aeternum lugebimus illum ! 

Quando uUum invenies , inclyta Roma , parem ? 
Quando Ecclesia sancta ministrum , orbisque magistrum 

Inveniet? Moritur ! Sed quid ego ? Sapiens 



PRÉFACE. Lxi 



vivre dans nos vers. Les vers ! ils consacrent Thomme vertueux 
à l'immortalité, d 

Est-ce bien l'ouvrage d'un professeur familiarisé 
avec la connaissance de la versification latine? 
N'est-ce pas plutôt l'essai d'un apprenti étranger 
aux plus simples règles de la prosodie ? Ce n'est 
pas ainsi qu'écrivaient les élégiaques anciens, qui, 
même en Portugal, ont servi de modèles à tous 
ceux qui se sont adonnés au même genre de com- 
position. On attend bien ici le langage de la dou- 
leur: le titre annonce une élégie y et le second vers 
présente une exclamation qui exprime le sentiment 
de la tristesse : heul Mais quelle n'est pas la mal- 
adresse de l'auteur! il y joint un mot , tandem ^ qui 
laisse le lecteur incertain si la mort du prélat parait 
au poète prématurée ou tardive , si elle est un re- 
gret ou un désir. 

Ce n'est pas qu'il ne nous montre la nature silen- 
cieuse, éplorée : omnia mœsta silentl mais les hom- 
mes, seuls capables de sentir une perte semblable, 
les hommes restent muets et glacés : il n'est^ dans 
Rome, de sensible que les pierres : logent mœnia 
Romœ. 



85 Nocte caret longa , dulci non carminé dignus. 
Dignum Musa virum laude mon vetuit. » 



Lxii PRÉFACE. 



On ne peut voir que la prose la plus commune 
dans ces trois mots, prœsule tanto extincto , qui se 
traînent péniblement et sans aucune intention poé* 
tique jusqu'au monosyllabe cui^ dont Félision avec 
Ecclesia forme peut-être le son le plus barbare que 
poète ait fait entendre. Chaque vers témoigne de 
l'embarras de l'écrivain , qui rejette à l'extrémité de 
sa phrase une conjonction , nani^ destinée à la 
commencer et l'unir à la précédente. 

Ce qui surtout dénote une ignorance totale de 
la versification latine^ c'est cet enjambement, six 
fois répété dans cette pièce, du pentamètre sur l'hexa- 
mètre suivant; faute tellement choquante , que les 
trois élégiaques romains n'en offrent peut-être pas 
un exemple. 

Mais est-elle moins étonnante la proposition 
du saint-père au prélat, de faire à la reconnais- 
sance et l'amitié le sacrifice de son éminente di- 
gnité? Il est probable que ce projet n'a jamais 
existé que dans l'imagination de M. le professeur; 
car l'intérêt et la curiosité, toujours aux aguets 
pour épier un événement de cette importance, ne 
l'ont pas même soupçonné. Du reste, eût-il été 
réel , la mort vint mettre obstacle à son exécution : 
Capaccini emporta ce secret avec lui dans la tombe. 

Des larmes et l'immortalité, voilà ce que l'auteur 
promet au défunt. Qu'il lui donne des larmes, il 



PRÉFACE. Lxiii 



le peut; on ne pourra qu'applaudir à sa sensibilité. 
Pour donner rinimorlalité , il faut des vers autre- 
ment tournés. Si jamais, ce que je n'ose croire, 
revient à M. Bastos la fantaisie d'en composer de 
semblables y il est deux clioses dont il doit se gar- 
der : d'abord de les livrer à l'impression, puis de 
les signer; rar ils ne sont bons ni pour des lec- 
teurs ni pour des élèves : les uns ne pourraient y 
voir l'ouvrage d'un poète, les autres l'ouvrage d'un 
professeur de langue latine. Je plains le Portugal 
s'il n'a que des versificateurs de cette force. 



CARDOSO (Francisco). 

Il est temps d'arriver à l'ouvrage que je me suis 
proposé de traduire. C'est à M. Ferdinand Denis 
que je dois de connaître ce poème et son auteur. 
« Le Brésil, dit-il dans une note de son Résumé 
« de la littérature brésilienne ^ possède un ouvrage 
a fort remarquable, dont la scène est en Afrique : 
a c'est le poème de Tripoli, écrit en latin par Fran- 
ce cois Cardoso... Je n'ai pu me le procurer. » 

J'ai été plus heureux, si toutefois cette décou- 
verte est un bonheur. Ces quelques lignes d'un 
homme de goût firent naître en moi une envie à 



Lxiv PRÉFACE. 



laquelle je ne pus résister. Bibliothèques publiques 
et particulières inutilement explorées y mon parti 
fut pris de le demander à Lisbonne, k peine arrivé, 
je le lus avec empressement, dans l'espoir d'y trou- 
ver le style et l'imagination qui distinguent les an- 
ciennes épopées portugaises. Mais il fallut peu de 
temps pour être détrompé. J'en entrepris cepen- 
dant la traduction , moins pour y voir un ouvrage 
parfait qu'un ouvrage inconnu. 

Quel en est le sujet? Une flotte nombreuse, en 
1798, débarqua les Français en Egypte. Tripoli, à 
cet événement inattendu, ne put se défendre d'un 
sentiment d'effroi. Cette régence , la plus faible de 
celles qui bordent la Méditerranée, trouvait dans 
cet étonnant succès un présage du sort qui lui était 
réservé. Al la pensée de l'échec qu'éprouvaient, 
malgré leur nombre et leur courage, les Mamelucks 
et les Turcs réunis, quel traitement devait-elle at- 
tendre? Quand la crainte transportait sa pensée à 
l'époque où les vainqueurs auraient affermi leur 
conquête , ils lui semblaient , pour l'étendre en- 
core, tourner déjà les yeux vers l'ouest de l'E- 
gypte, et commencer ainsi la soumission des Etats 
barbaresques. 

Quelle défense pouvait-elle opposer? Des troupes 
réglées, elle n'en entretenait pas; et les levées 
qu'elle pouvait appeler aux armes étaient peu pro- 



PRÉFACE. Lxv 



• <• 



près à tenir tête aux vainqueurs de l'Europe. Pour 
sa marine, elle était réduite à quelques misérables 
chébecks, montés par des hommes plus misérables 
encore, qui ne savaient s'attaquer qu'à de faibles 
embarcations incapables de leur résister, comme 
ils l'étaient eux-mêmes d'affronter une attaque sé- 
rieuse. 

yoilk ce qu'avait déjà prouvé le passé. Une fré- 
gate danoise était venue, au nom de son souverain, 
sommer le dey de diminuer le tribut que les puis- 
sances européennes avaient la faiblesse de payer aux 
barbares de l'Afrique. La perfidie l'attira dans la 
rade de Tripoli, et semblait lui promettre, comme 
à un vaisseau ami, un accueil bienveillant. Mais à 
la confiance succédèrent bientôt la surprise et l'in- 
dignation ^ quand, après quelques semblants d'ami- 
tié, les Tripolitains s'apprêtèrent à montera l'abor- 
dage , et comptaient déjà sur une proie certaine. 
Mais à peine le canon se fit entendre, qu'il suffit 
de quelques coups pour disperser la flottille enne- 
mie , faire trembler le dey jusque dans son fort, et 
lui arracher des conditions plus favorables qu'elles 
n'avaient été d'abord demandées. 

Aussi cherche-t-il, dans la crise actuelle, le moyen 
d'ôter au héros français tout prétexte de. s'emparer 
de ses faibles États, ou du moins de le traiter avec 
rigueur; il va même jusqu'à oublier qu'il est sujet 



LXYI 



PRÉFACE. 



du sultan et l'allié des Anglais. Dès lors son port 
et son palais sont ouverts à des Français fugitifs, qui 
cherchent un asile contre les poursuites des ma!* 
très de la mer. Cette conduite ne sera pas impu- 
nie. La flotte chargée d'aller combattre le vainqueur 
d'Aboukir entraine avec elle la flotte portugaise, 
sous les ordres du marquis de Niza. Cet amiral 
laissera à un de ses officiers le soin de châtier Tin- 
fidèle. . 

Une remarque qui est pour la nation portugaise 
le sujet d'un légitime orgueil , c'est que, de toutes 
les puissances secotidaires de l'Europe , elle était la 
seule qui, dans la décadence même de sa marine, 
n'eût japiais fait la paix avec les régences barba- 
resques. Cette paix lui aurait semblé être indigne 
de sa gloire passée, et déshonorer son glorieux 
drapeau aux cinq plaies qu'avait reçu, au camp 
d'Ourique, son premier souverain. Aussi, loin de 
consentir jamais à saluer le Croissant, elle entre- 
tenait constamment , dans le détroit de Gibraltar, 
une flottille qui , destinée à repousser les tentatives 
de l'ennemi du nom chrétien, semblait lui dire : 
Tu n'iras pas plus loin ! Cette mesure, outre qu'elle 
honorait les Portugais, à qui elle inspirait une noble 
confîance, était encore une école pour leur marine, 
et un témoignage vivant de leur ancienne foi. 

Aussi l'amiral, avant de poursuivre sa route vers 



PRÉFACE. Lxvii 



les côtes de l'Egypte, détacha contre le parjure 
musulmai) un vaisseau, pour lui demander raison 
de cet oubli de la fidélité qu'il devait à son maître 
ainsi qu'à son allié. Campbell le commandait, offi- 
cier anglais habile sans doute, et propre à l'exécu tion 
d'un coupdemain. k lui se joignirent de beaux noms 
portugais, capables , sans secours étranger, d'assurer 
lesuccès decetteexpédilion, mais sacrifiésà l'aveugle 
anglomanie d'un ministre sans patriotisme^ et sans 
talent. 

Malgré la perspective des dangers qu'on aurait 
à courir si la victoire venait à se déclarer pour le 
chef futur delà république française, on hésita long- 
temps à Lisbonne sur le parti qu'il convenait de 
prendre. C'était acheter trop chèrement une alliance 
qui paraissait être le sacrifice de l'honneur même, 
et un désaveu de la conduite tenue dans les siècles 
passés. Enfin le gouvernement consentit à faire un 
traité, et chargea son amiral d'obtenir des barba- 
resques l'accommodement le plus avantageux. 

Campbell partit, bien décidé à vaincre l'irrésolu- 
tion du dey, et lui arracher à la fois et les Français 
qu'il vient réclamer, et la paix qu'il demande. 11 
saura, s'il rencontre quelque opposition , m€nacer 
le tyran , et le déterminer par la contrainte et la 
force. Peut-il être , en effet , pour mettre les Bar- 
bares a la raison , un autre moyen que la menace 



Lxvin PRÉFACE. 



et l'annonce d'un châtiment rigoureux? Quelques 
coups de canon sont tirés : Tripoli, peu accoutu- 
mé à les entendre et moins encore à y répondre , 
croit déjà voir ses remparts, ses maisons , ses mos- 
quées en cendres, ses habitants empressés de se 
dérober par la fuite au danger^ la ville entière aban- 
donnée au pillage, et n'oiïrant plus que de tristes 
débris. Le dey se voit lui-même forcé dans son dernier 
asile 9 dépouillé de ses trésors, condamné à vivre 
fugitif ou captif, en un mot , exposé à toutes les 
suites d'une défaite et d'ua sac. Il ne balance pas 
davantage : son courage est abattu, la résistance a 
cessé, tout est consenti , et la paix est signée. 

Mais fallait-il en venir à cette extrémité? Pour 
justifier l'entreprise, le poète n'aurait-il pas ima- 
giné, contre toute vraisemblance, ce refuge ouvert 
par un Barbare à des ennemis? IN'aurait-il pas, pour 
rehausser la valeur de son héros, supposé son pas- 
sage à travers la ville soulevée ; et , pour le montrer 
impassible au milieu des dangers, n'aurait-il pas 
encore chargé l'imagination de creuser ces mines 
souterraines, qui le pouvaient ensevelir sans vie 
dans un abime? Voilà des douter auxquels peut 
donner lieu l'obscurité de l'événement. Au moment 
de la révolution qu'allait porter l'armée française 
dans une contrée voisine des États barbaresques, 
je ne m'étonne pas que l'expédition de Tripoli ait fait 



PRÉFACE. Lxix 



si peu de bruit , et que le canon de cette ville ait 
à peine été entendu parmi les canons d'Aboukir. 
Aussi 9 de tous les écrivains qui ont raconté la lutte 
des deux flottes et le résultat du combat, n'en est-il 
aucun qui ait porté ses investigations au delà de la 
rade égyptienne , et consacré quelques lignes au 
récit de ce fait inaperçu. La poésie a remplacé ici 
l'histoire; car, sans le pôëme que j'ai traduit, et 
c'est là son principal mérite , le Portugal même en 
aurait presque perdu le souvenir. 

Ces renseignements paraîtront sans doute bien 
laconiques; mais on me pardonnera leur brièveté. 
Celui qui pourrait s'en plaindre les ignorerait peut- 
être comme moi, sans l'obligeance d'un jeune 
Portugais, M. l'abbé Roquele, un de mes collègues, 
lequel , aussi instruit que complaisant, a fait parmi 
ses coofpatriotes d'utiles recherches. Il a trouvé, vi« 
vaut à Paris, un vieillard de quatre-vingt-trois ans, 
M. le baron de Rio-da-Prata , qui, à titre de major 
général de la flotte portugaise, avait accompagné 
l'amiral Nelson et pris part à la bataille d'Aboukir. 
C'est à lui que je dois de savoir et de pouvoir re- 
tracer ces détails. Tout concis quMls paraissent, ils 
lui ont mérité ma reconnaissance; car, de tous les 
ouvrages récemment publiés sur le Portugal et les 
côtes septentrionales de l'Afrique, je n'en connais 
aucun qui ait parlé de cet événement. 



LXX 



PRÉFACE. 



Que sait-on de Tauleur? Fécond en compositions 
latines tant que les jésuites furent chargés de l'é- 
ducation, le Portugal donna des imitateurs aux 
poètes du beau siècle. Sept volumes in-4^y que je 
viens d'analyser, attestent le goût de ses habitants 
pour cette belle langue. Avec de pareils maîtres, 
la jeunesse suivait les traces glorieuses de ses aînés. 
Mais après que , victimes des menées d'un ministre 
irréligieux et pervers, les maîtres eurent forcément 
quitté le Portugal et leurs élèves, la flamme poé- 
tique cessa d'y brûler; et là, comme en France, 
elle s'éteignit, sans qu'une circonstance soit parve- 
nue à la rallumer sous le règne de leurs successeurs. 

Depuis ce moment , déshérité de sa gloire pas- 
sée, ce royaume n'a pas produit un seul homme 
qu'aient fait connaitrje des essais de poésie latine : 
les élèves sortis de l'Oratoire n'ont pas laissé le plus 
léger souvenir qui rappelle leurs devanciers. Pen- 
dant un long espace de temps, le silence a régné 
sur le Parnasse latin en Portugal. Ce n'est qu'en 1 800 
que Lisbonne entendit un enfant du Brésil embou- 
cher la trompette héroufue. Et quels faibles sons en- 
core il en tira! et qu'il est loin de son ouvrage à la 
Chauléide, tout imparfaite qu'elle est! Son imagina- 
tion est terne , son vers mal tourné. Dans sa compo- 
sition , il a oublié que le paganisme n'est plus de 
mode, et qu'une tempête où interviennent Nep- 



PRÉFACE. Lxxi 



lune et Phiton touche de près au ridicule. Employer 
encore la mythologie, c'est oublier son pays et son 
siècle. 

Mais qu'était donc ce poète? Une préface aurait 
été nécessaire pour nous donner quelques rensei- 
gnements sur sa famille , son éducation , et les mo- 
tifs qui l'engagèrent à quitter sa patrie : il n'en est 
pas plus en tête de l'original que de la traduction 
portugaise. Ce que l'on sait sur son compte, c'est 
qu'il était d'une contrée qu'avaient civilisée les jé- 
suites, qu'il fit au Brésil ses études , et qu'il acquit 
certaine facilité à composer péniblement des vers 
latins ; que., venu en Portugal , attiré par le besoin 
ou l'ambition, il profita , pour flatter le ministre, de 
l'expédition entreprise contre Tripoli ; qu'il donna, 
contre toute vérité, un certificat de capacité à 
Souza, et reçut, pour récompense de ses éloges ^ 
une faveur qui semblerait parmi nous une san- 
glante épigramme : car son Mécène le renvoya pro- 
fesser à Bahia, sa patrie, une classe de grammaire 
latine. Voilà le prix qu'obtint François Cardoso 
pour les louanges prodiguées à un homme aussi 
pauvre littérateur que pauvre ministre. 

Lisbonne vit paraître en t8oo, à rimprimerie 
royale , la première édition de cet ouvrage, dont la 
célébrité n'a pas franchi les limites de cette partie 
de la Péninsule. Des hommes familiarisés avec les 



Lxxix PRÉFACE. 



richesses Iittëraii*es du Portugal ignoraient son 
existence; et M. Chodko, qui, dans la Biographie 
universelle, a ënuniéré les diverses compositions 
du poète Barbosa du Bocage , n'a pas parlé de la 
traduction qu'il a faite en vers portugais d'un poème 
quiy sans réputation en Europe , pourrait être en- 
core un titre de gloire pour le Brésil. 

Cardoso mérite-t-il d'être entièrement oublié? 
Cette question est résolue : un poète renommé sur 
les bords du Tage, Barbosa du Bocage , s'est pro- 
noncé à cet égard ; et , pour que son opinion ne fût 
pas un mystère, il s'est chargé d'improviser une 
version qui semblerait prolixe à qui met le por- 
tugais en regard du latin. Quel motif a pu la lui 
commander? Dirai-je qu'il a voulu être courtisan, 
et songer à sa fortune en songeant à son prince? Il 
en est un plus noble et plus digne de lui ; c'est un 
sentiment patriotique commun à ses devanciei-s, 
et qui; sans doute, ne lui est pas étranger. 11 a 
voulu faire connaître un poème qui retrace un fait 
honorable, tout mince qu'il est , à ses compatriotes, 
et lui donner, dans une traduction portugaise, des 
lecteurs que ne lui aurait pas donnés le texte latin. 
A la lecture de cette version généralement fidèle, 
on regrette que l'auteur n'ait pas employé son éton- 
nante facilité à rendre dans sa langue maternelle la 
Ciiauléide : le fait est bien autrement important • et 



PRÉFACE. Lxxiii 



la composition , malgré ses défauts , offre bien plus 
d'intérêt. Çaurait été attachera une grande entre- 
prise son nom, qui ne l'est qu'à des bagatelles. 

Je finis. Un traducteur , quand il prononce sur 
l'original dont il a entrepris la version , est souvent 
accusé de partialité , et son travail semble presque 
toujours être le fruit de l'admiration et de l'engoue- 
ment; cependant je ne laisserai pas entièrement 
au lecteur le soin déjuger ce poëme, inconnu jus- 
qu'ici parmi nous. Quelque confiance que j'aie dans 
l'opinion qu'en a conçue M. Ferdinand Denis , je 
suis loin de l'adopter, parce qu'elle n'est que l'effet 
d'un ouï-dire; et je plaindrais le Brésil, s'il n'avait 
rien de mieux à présenter à l'approbation de l'Eu- 
rope que l'ouvrage de M. Cardoso. La marche en 
est embarrassée , le style peu poétique : il n'est pas 
un ennemi qui rivalise avec Campbell, un vaisseau 
qui soutienne un coup de canon , un Portugais qui 
ne soit sacrifié à l'Anglais chargé du commande- 
ment. 

Pourquoi, demandera-t-on, le traduire ? Je l'ai déjà 
dit : c'est moins pour y voir un ouvrage parfait 
qu'un ouvrage inconnu. Hélas! tel est peut-être le 
sort qui, malgré mon travail, lui est encore réservé. 



/' 



OBSERVATIONS 



I. 



L' auteur n*a indiqué les pei'sonnages qu'il a mis en scène 
que par leur nom de baptême, et les a condamnés ainsi 
à perdre le fruit et la gloire de leur courage^ Pour moi, à 
Texemple de M. Barbosa du Bocage, je leur ai rendu celui d^ 
leur famille , et je les ai mis à même de jouir exclusivement de 
leurs exploits , sans qu'un prétend^int vienne , sans titre , se les 
attribuer. Ainsi : 



V.^i52, Donaldus. . 

— 288, Oliva 

— 3i3, PetiHis. . . . 

— 5i4, Ludo viens... 

— 5i4, Joannes. . . 

— 5i6, Homo 

•'— 728, Lima 



C'est Campbell , le héros du poëme. 

— Michel-Joseph de OliveiraPinto . 

— Da Silva. 

— De Franca. 

— Da Rocha. 

— De Magalhaes. 

— Marquis de Niza. 



II. 



L'édition de Lisbonne présente dans la pièce que je repro- 
duis, p. 5o , V. 35 de la préface , deux incorrections évidentes. 
La première me semble le fait de Timprimeur : Ponderis hos- 
pitio est inintelligible. Ponderis auspicio , ou auxilio , le serait 
moins, et présenterait un sens d'accord avec la pensée du poëte. 
Cependant je n'ai pas osé admettre ce changement dans le texte. 



OBSERVATIONS. 



III. 



L'autre incorrection appartient à Fauteur : dans ce vers , 

Nec melior Felem sors excipit : ef/erus ille 
Incidit in dentés , rabidorumqae ora molossûm; 

Macedo fait le mot Feies masculin , et se met ici dans une con- 
tradiction évidente avec tous les dictionnaires que j'ai pu con- 
sulter, et avec les prosateurs et les poètes qui l'ont employé. 
Pour l'honneur de Macedo , je désire me tromper, et voir ici 
mon savoir en défaut. 



IV. 



Je ne terminerai pas cette préface sans réparer un oubli invo- 
lontaire. Les Soirées Littéraires sont un recueil précieux à tout ami 
des latinistes modernes. C'est à leur savant rédacteur que j'ai dû, 
en partie, de les connaître et de les apprécier. Ces grandes collec- 
tions qui, sous le nom de Deliciœ poetarunty contiennent les titres 
poétiques de la plupartdes nations lettrées , M. l'abbé Coupé les a 
soigneusement explorées. On croira sans peine qu'il n'a pas ou- 
blié les poètes portugais. Dans le dessein d'en parler également, 
comme lui j'ai recouru à l'édition qui les renferme , comme lui 
je les ai lus et jugés ; en sorte qu'une partie de ma préface ne 
semble qu'une copie de la sienne. J'ose pourtant déclarer que 
j'ai seulement emprunté la nomenclature à mon devancier; 
j'avouerais, sans rougir, mes emprunts, s'ils étaient i*éels ; d'ail- 
leurs , les pièces de conviction sont entre les mains du lecteur. 
Le onzième volume des Soirées Littéraires le mettra à même 



OBSERVATIONS. 



de prononcer. Mon seul regret , c'est que la ressemblance ne 
soit pas plus parfaite. Mais M. Tabbé Coupé n'est pas un 
homme qu'on puisse facilement égaler : tel est le jugement de 
quicoAque a eu, comme moi , le bonheur de le connaître. 



FIN. 



EXPEDITION 



DES PORTUGAIS 



CONTRE TRIPOLI. 



VOBMS. 



CARMEN HEROICUM 



DE REBUS 



A LUSITANIS 

AD niPOlII GESTIS, 

JOANNI SEXTO PORTUGALLIiE PRINCIPI 

S&a <D<» <B« 

J. F. CARDOSO, 

» 

HEGIUS L\TIN£ LINGUiE PR0FE8S0R 
80TEE0P0I.I BABIEN8I. 



Tu ne , Musa -j time , fidens tua plectra moveto. 
Ardua sî tentas, haud viribus aequa, labori 
En deus aspirât , cui non certaret Âpollo, 
Non Heliconiadum turba ingeniosa sororum. 
6 Pindum , ac Parnassum vani lusere poetae ; 
Nusquam Hippocrene : solio tibi manat ab alto , 



EXPÉDITION 



DES PORTUGAIS 



CONTRE TRIPOLI, 

DÉDIÉ A JEAN SIX, ROI DE PORTUGAL, 

PAR JOSEPH-FRANÇOIS CARDOSO, 

PROFESSEUR R0Y4L DE LANGUE LATINE 
A SAM-SALVADOE, PROVtirCS: DE BABIA. 



Muse, bannis la crainte , et touche hardiment ta lyre. 
Si l'entreprise est difficile et supérieure à tes forces , 
voilà qu'un dieu te seconde , un dieu qui l'emporterait 
sur Apollon et le chœur entier des doctes sœurs. Ainsi 
que le Parnasse , le Pinde est un songe des poètes, 
THippocrène une chimère. Pour toi /descend des hau- 



I. 



EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Quae tardam exacuat felix audacia mentem. 
Hac secura voles , traBarer|ue Aubila cœli , 
Et pelagus valeas ; valeas arcana subire 

■0 Incertae nondum famae corrupta loquelis. 
Se quasi frustrari libeat , praesentia vatum 
Numina sollicitent alii y laticesque requirant 
Âonios : vero qui nuniine parva Joauue» , 
Cum velit, extollat, praecelsa teratve, canenti 

16 Dexter adest, nutuquc silens jubet alta benigno, 
Unde tibi virtus , mens ùnde est , spiritus unde. 



Jamque ardent anirai praeclara sub auspice tanta 
Dicere y magnanimûm laudes celebrare vlt^orum : 
Qua gens perfidia , quo crimine Maura nefando 
^ Pectora Luisiadum veteri succenderit igné , 
Quasve novas dederit pcenas odiosa propago ; 
Donec in officium Mavors rediisse coegit. 
Ficta pro€ul : sincerus amat sincera Joannes. 



i 



CONTRE TRIPOLI. S 

leurs du trône une heureuse hardiesse ^ qui va ranimer 
ton ardeur amortie* Tu pourras saiàs crainte , a son 
aide , pi*endre Fessor, et , traversant les nuages et les 
mers , pénétrer des mystères que n'a pas encore al- 
térés la renommée mensongère. Que d'autres , jaloux 
d'échapper à eux-mêmes , implorent les dieux protec- 
teurs dés poètes, et recherchent les sources d'Âonie : 
un prince, ou plutôt un dieu, qui, à son gré, relève 
la faiblesse , abat la grandeur, soutient l'ami des vers, 
et, calme et bienveillant, ordonne de chanter les 
hauts faits, Jean va te donner à la fois force , ardeur 
et génie. 

Déjà , sous ces glorieux auspices , je brûle , pané- 
gyriste des héros, de célébrer leurs exploits; je dirai 
par quelle perfidie et quel forfait horrible le Maure 
réveilla dans l'âme du Portugais son antique valeur, 
ou quel nouveau châtiment frappa cette odieuse race 
jusqu'au moment où Mars la força de reconnaître des 
lois. Loin d'ici la fiction ! véridique , Jean n'aime que 
la vérité. 



EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Labitur in médias terras ubi longius aequo):, 
25 Cujus ad os validas fertur posuisse columnas 
Amphitryoniades , jacet urbs antiqua , ruinis 
Se veluti retrahens Byrsae , Trinacria longe 
Littora prospectans ; opulenta et nobilis olim , 
Dum non armato Navarrus milite pressit ; 
30 Nnnc tantum sinus, et statio malefida carinis. 
Hinc solet infestas cava trabs agitare rapinas ; 
Hue redit exuviis miserorum lœta cruentis : 
Nec solis gaudet spoliis , in vincula mittit 
Imbelles , pecoris quos aut divendit ad instar , 
35 Servitio aut premit indigno teterrima proies , 
Naturae probrum , labes ratione fruentum. 
Hoc decus , hic illis honor, haec laus dira relicta est. 

Ëminet imperio praestans feritate tyrannus , 
Obscœnae stirpis custos obscœnior ipse. 
♦0 Perfîdus hic teneris versare peritus ab annis 
Omne nefas , temere fas omne abrumpere doctus , 



CONTRE TRIPOU. 



A l'endroit où pénètre au sein des terres cette mer 
qui, dit-on, vit Hercule éfever, à son entirée, d*im-: 
muables colonnes, git une antique cité qui semble sor- 
tir des ruines de Carthage , et regarde les rivages loin- 
tains de la Sicile: riche et fameuse autrefois , avant 
que l'Espagnol l'entourât d'une soldatesque armée, elle 
n'est plus qu'une rade , un abri peu sûr pour les vais- 
seaux. De là s'élance la poutre creusée en navire à 
la poursuite d'une proie ennemie : là elle revient,: 
chargée des dépouilles sanglantes des malheureux. 
C'est peu de ces dépouilles : elle enchaîne les victimes , 
les vend comme de vils troupeaux , ou les écrase du 
poids d'une honteuse servitude, cette race cruelle, 
l'opprobre de la nature , le rebut des êtres rait 
sonnables : voilà son ambition , son mérite et sa. 
gloire. 

Sur le trône siège un cruel tyran, d'un peuple hi«^ 
deux maître plus hideux encore. Instruit , dès ses. 
jeunes ans , à couver tous les Crimes et violer toutes 
les lois , il n'est pas de forfait qu'il n'exécute , 



EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Qaod non arripi&t , criraen non prospicit ullura ; 

Et si quod videat se praeteriisse , dolebk. 

Prodigio similis ^ magnum nisi sparsa per orbem 
46 Fœi hominum haec esset, potius ferienda securi 

Quœ fuit , urbanis ultro quam digna citroque 

Officiis, nedum sociali fœdere jungi ! 
Quod si aliter visum rerum.moderantibus axem , 

Lux venîet , spero y libeat cum finibus exul 
M Extremas immite genus detrudere in Arctos , 

Qua trahit l^bernus torpentia plaustra Bootes ; 

Seu Notus unde recens bacchatur, inhospita tellqs 

Hos ûbi conquirat cives, teneatque per œvum : 

Sive habitent saltus , furtivoque antra recessu y 
55 Sanguinem ubi pascant socii, nova monstra , ferarum, 

Uague rapace quibus praeeunt, virtute minores. 
Cum scelusingenium est , nihil inde evolvitur aequi; 

Jam natura malas nequit obliviscier artes : 

Nam qui pœniteat morum , per ssecula postquam 
•0 Invaluit, totosque lues descendit in artus? 

Crimen uIh donis cumulatur, casta lahorat 



CX)NTRE TRIPOLI. 



dès qu'il l'imagine : et quel regret il éprouve, s'il en 
est qui lui échappe! Qui le croirait, si, par tout l'u-» 
nivers, n'était pas répandue cette lie de l'espèce hu- 
maine, plus digne d'éprouver les coups de la hache 
qu'une mutuelle bienveillance , ou cette foi jurée qui 
unit les nations ? 

Si les arbitres du monde en ont autrement dé-^ 
cidé , il viendra , je l'espère , le jour de la ven- 
geance : ils seront, ces barbares, relégués sur les 
glaces de TOùrse que fend le char paresseux du froid 
Bootès, dans cette terre inhospitalière qui , le théâtre 
des premières fureurs du Notus, conservera à jamais 
ces nouveaux dtoyens , dans les repaires des forêts et 
des antres, où s'abreuvera de sang cette monstrueuse 
race , plus rapace et moins généreuse que les b£tes 
féroces, ses compagnes. 

Quand le crime est un penchant inné , qu'en at- 
tendre de juste? La nature ne peut , dès lors , oublier 
sa perversité; et le remords est impossible, quand ^ 
enracinée par les siècles, la contagion envahit tous les 



lo EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Esurie Probitas , vulgo exagitata procaci ? 

Barbara progenies inversis omnia dicunt 

Nominibus : justa oderunt, injusta probantes. 

^ Ardor is est sceleris, sic noxae praevalet usus. 

Ut perpetrandi facinus non tempus omittant, 

Vel praedae rapti stimulis , vel amore nocendi ; 
Interdum ne aliquid videantur ferre decori. 



Quam non haec reddam fallacî pectore , nemo 
70 Non norit : quales mendax emiserit auctor, 
Haeresis infandae comités , Mahometus alumnos , 
Auribus atque oculis tantummodo nesciet expers. 

Quœ nuper, generose Donalde, immania turpi 
A grege pertuleris , quas die fraudesque dolosque ! 
75 Quot varios casus, quot adiré pericla, labores, 

r 

Teque j tuosque ducis perjuria fœda bilinguis 
Impulerint j animo tamen omnia victa potenti ! 



CONTRE TRIPOLI. il 

membres. Des présents accordés au coupable livrent 
à la faim l'incorruptible Probité , qu'outrage une in«* 
solente populace. Chez un peuple barbare , les vrais 
noms sont changés : on hait l'équité, on applaudit l'in- 
justice; et telle est la fureur pour le crime, tel l'em- 
pire d'une malfaisante habitude, qu'il saisit toute 
occasion de le commettre, entraîné qu^il est par la 
soif du butin , la rage de nuire , et quelquefois par 
la crainte de paraître vertueux. 

Ce tableau n'est pas l'ouvrage de l'imposture , on 
le sait. Quels disciples^ quels complices a formés 
Mahomet, l'artisan menteur d'une monstrueuse hé- 
résie , celui-là l'ignore seul , qui a perdu la faculté et 
de voir et d'entendre. 

Dis -nous, magnanime Campbell, les tourments 
que t'a fait subir cette horde ' brutale , les artifices 
et les trahisons , les dangers et les fatigués auxquels 
t'ont exposé , toi et tes compagnons , les indignes par- 
jures d'un perfide tyran, et dont a triomphé ta grande 
âme. Décoré du titre glorieux de commandant su- 



la EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Eximio imperii &ummi decoratus honore , 
Obtuleras ultro pacem , quam Barbarus ipse 

80 Suppliciter^ roagno rege auxiliante , petebàL 
Lex non uUa fuit levior : quod dedere Gallos , 
Oflfenso domino, laesis pariterque Britannis 
Fœdere conjunctis , Tripolinœ in mœnibus urbis 
Comiter exceptos festinet : et illico voti 

8& Se putet esse reum ; accipiat dextramque , fidettique 
Principe ab Âugusto , fulvis pretiosus arenis 
Quem Tagus observât ; Gangesque Nilusque veretur ; 
Subditus immensas resonantia in aeqtiora Gurges 
Volvit Amazonius, nec non argenteus undas. 

^0 Regulus acclamât gaudens, ardetque pacisci. 
Jam properat , fortemque virum studiosus in aulam 
Invitât; quidquid mens suggerit atra, paratus 
Exercere prius , quam consentanea vero , 
Commoda multa sibi quantumvis afferat , optet. 

»6 Haud mora : quid tristes arces fatale minentur, 
Quidve dotnus ferat ambigua , imperterrilus héros 



CONTRE TRIPOU. iS 

' ' I — ^-i*iM^— ^~— ^M— 1— ^— ^^— ^ 

prême, tu avais offert au Barbare la paU^ qu'il damaO'* 
dait suppliant et protégé d'un grand roi. Jamais con- 
dition moins dure : qu'il livre les Français , accueil- 
lis avec bienveillance , en dépit de son maître, et 
des Anglais ses alliés , dans les murs de Tripoli i 
point de délai! ses vœux seront soudain accomplis , 
et^ pour gage, il aura la main et le serment d'un 
prince auguste que révère le Tage riche d'un sable 
doré , et qu'honorent , fleuves soumis , le Nil et 
le Gange , l'Amazone et la Plata, qui roulent au 
sein des mers orageuses l'immense volume de leurs 
eaux. 

Le tyran pousse un cri de joie t et brûle de sti- 
puler. Déjà même il invite le héros, et le presse de 
se rendre au palais. Tout forfait que lui suggère son 
âme , il est prêt à Texécuter : tenir un serment , mal* 
gré ses nombreux avantages , n'est pas dans sa pensée. 

Bravant alors les dangers dont le menacent le bronze 
de la forteresse et les pièges que recèle le palais ^ le 
héros marche , sans peur, au séjour du tyran. Tel osa 



14 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Nequaquam metuens , hostiles tendit in aedes. 
Talis acerbati Carolus prorupit in hostis 
Ora, domumque audens, solus, post multa regressus : 
■00 Seu talis monitu contempto Cœsar amico , 
Barbara conflantem cèleravit adiré senatum , 
Vincere consuetus vultu , indocilisque timere. 



Imperat interea puppi legatus in alta; 
* 
Dum redit ille , valet si forte redire superstes. 

"*^ Nocte vigil memores solerti pectore curas 

Pertractans , animoque aeger, spem froute serenat. 
Ni regredi liceat, cum jam lux aima resurgat, 

Inducatque novum terris aurora decorem , 

De se nîl curans absente, irrumpere in hoste^ 

110 Dux jubet invictus, toto quo rôbore possint. 
Pro nihilo sibi vita fuit, potiora tuenti. 
Nam pede quam céleri fugiunt haee munia lucis! 
Quam si fama silet praenuntia, maxima parvis 
Nomina nominibus miscent oblivia Lethes , 

116 Haud acrem latet ingenio , cui gloria cordi est. 



CONTRE TRIPOLI. i5 



Charles XII, seul, d'un ennemi irrité affronter la 
face et la demeure , et revenir après mille périls : 
tel encore César , contempteur des conseils d'un ami , 
courait au sénat , où couvaient des projets homicides; 
César, accoutumé à vaincre d'un coup d'œil, et re- 
pousser la crainte. 

Sur le vaisseau commande un lieutenant jusqu'au 
retour du héros , s'il revient la vie sauve. Pour lui , 
éveillé , prévoyant , il roule en son âme mille soucis : 
l'inquiétude est dans son cœur, la sérénité sur son 
front. S'il n'a pas reparu quand renaîtra la lumière, 
et que l'aurore rapportera la clarté sur la terre, 
l'invincible Campbell, sans égard h lui-même et à son 
absence , lui prescrit de lancer contre les Barbares ses 
forces réunies. Pour lui , occupé d'un plus grand 
intérêt, l'existence n'est rien. La vie fuit d'un pas 
si rapide ! Si la messagère des événements , la Renom- 
mée , ne la raconte , le fleuve d'oubli engloutit les plus 
beaux noms avec des noms sans éclat : ce n'est pas là un 
mystère pour l'amant de la gloire. Les plaisirs qui 



I* 



i6 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Rejicit in vulgus tangentia gaudia !sensus: 
Grandibus addictus, lethum, et vulgaria temnit, 
iEtates, fato major, victurus in^omnes. 



Quid Fabios memorem redimentes praelia solos ? 

120 Quid regem , cives moriens qui reddit ovantes , 
Ultimus imperio Cecropis dominatus in agris ? 
Quidve feram Juvenes , mactant qui densa cadentes 
Agmina , fiumineos potando morantia cursus , 
Centuplicem decies numerum , mirabile dictu ? 

125 Quot nusquam , nuUo quis tempore millia duxit ? 
Nil veterum monumenta docent illustrius ; imo 
FirmiusHaudquidquam, quidquam vehementius ausit, 
Nobiliusque sibi jam fingere mascula virtus. 
Quse tamen apparent rerum transcendere metas , 

130 Monstrat ^ qua peragi possint ratione , Donaldus ; 
Et Codro j et Fabiis ^ Lacedaemoniaeque Juventae 



CONTRE TRIPOLI. 17 



affectent les seqs, il les abandonne au vulgaire : at- 
taché à ce qui est grand , il méprise la mort et des 
intérêts passagers , et vivra , supérieur au destin , dans 
les âges futurs. 

Parlerai-je des Fabius, smitenant seuls le poids de 
la guerre? de ce roi qui, dernier maître d'Athènes, 
donna^ par sa mort, une victoire à sa patrie? de ces 
jeunes héros immolant, à l'iiistant de leur trépas ^ 
d'épais bataillons qui, dans leur soif, tarissaient les 
fleuves , et surpassaient mille fois le nombre de leurs 
rivaux? Jamais , o prodige! siècle ni contrée n^en vit 
autant suivre un chef au combat. L'antiquité n'ofifre 
rien de plus éclatant; et le plus mâle courage n'oserait 
imaginer plus de fermeté, d'audace et de grandeur. 
Quel moyen peut surmonter des obstacles qui semblent 
insurmontables? Campbell l'apprend à l'univers. A 
peine laisse-t-il aux Codrus , aux Spartiates , aux Fa- 
bius, la seconde place parmi les héros. 

Codrus, par $a mort, assure un triomphe à sa 
patrie : sacrifice glorieux!. mais, citoyen à la fois et 



1 8 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Magnum est ; sed populo debebat talia civis , 
135 Et ductor, monitis etiam signata deorum. 
Romanos inimica senex in castra simultas ^ 
Et palma expectata, et non dubitabile traxit 
Nominis augurium , nullo delebitis aevo ; 

r 

* 

Tum patriis pulchrum occidi succurrit in armis.' 
140 Quae se 9 quseque deos^ quœ natos, atque parentes, 
Pxoresque tuebantur, pro parte virili 
Angustas presso propugnavere Laconçs 
Si pede Thermopylas, sibi dulcia fortiter ipsos 
Défendisse patet; quodque aspera fata levaret, 
146 Cum cecidere , datum est , ut non morerentur inulti< 

At meliora quidem circumstant omnia factum 

Ëgregium , immortale , inihi quod ferre per orbem 

Cbntigit invalido^valido grave pondus Atlanti. 
Non hic illecebris , ut fit , jucundior uUis ; 

150 Nuda sed occurrit , per se pulcherrima , virtus. 

Pectore nequitiem , quam vocibus improbat , odit , 



i ,. \". I" ':::.," ■■.■■■r.jgg 



CONTRE TRIPOU. 19 

commandaDt , il le devait à son peuple, et les dieux 
lui prescrivaient cette conduite. C'est dans le camp 
ennemi qu'entraînent les Romains une haine invété- 
rée j l'espoir d'une palme glorieuse , l'infaillible pré- 
sage d'un nom ineffaçable , ainsi que la pensée d'une 
mort belle à subir pour sa patrie. Si des Thermopyles , 
le rempart de ses dieux et de ses enfants, de son 
épouse , de sa £unille et de soi-même , le Spartiate , 
en héros, et de pied ferme, défend l'étroit passage, 
il combat pour des objets qui lui sont chers; et s'il 
meurt, un adoucissement à sa cruelle destinée, c'est 
qu'il lui est donné de ne pas mourir sans vengeance. 
Mais de plus belles circonstances entourent l'ex- 
ploit glorieux , immortel , que je dois , poète impuis- 
sant, retracer à l'univers, et dont, le poids accablerait 
Atlas. Ce n'est pas fardée, selon l'usage, d'agréments 
empruntés, c'est nue et belle d'elle-même, que se 
montre ici la vertu. Le cœur de Campbell déteste le. 
crime que maudit sa bouche , et ne l'honore, la vertu, 

que par amour de la vertu même. Ce qui, d'ordi- 

a. 



>io EXPÉDrnON DES PORTUGAIS 

Virtuteiîique côlit , virtutis amore , Donaldus. 
Nîl, raptare solet quod maxima in omnia mentes; 
Nullus àmor patriae, vindictae nuUa cupido, 
iw Utilitâs, aliusve furor commovit agentem. 
Ante oculos habuit tantum , quod munus obiret , 
Ëventus quicumque foret, quodcumque periclum. 

Heu ! quod concilium horrendum jam mente vol u ta t, 

Quot struit insidias! plebs undique convenit exiex ! 

160 Seque inter furtim venturo retia tendit. 

Exultant praeda r plus induisisse videtur 

Ingenio, summisque efferri laudibus ille 

Digtiior, inventum cujus sit atrocius , ore 

Qui vomit impuro novum et exêcrabile quoddam , 

165 Flagitium insolitum, rabida plaudente corona. 

Hic monet , invisam pedibus vix tangat arenani , 

Ëxcipere incautum ferro, lacerumque propinquas , 
Horresco réferens, dispergere corpus in undas : 

Hic mavult , immissa cohors in fœdus euntepi 

,70 Hinc telis atque bine subito quod figat acutis y 

Securus mediam cum progredietur in urbem : 



2=: 



CONTRE TRIPOLI. ik| 

naire, exalte les âmes, amour de la patrie, soif de 
la vengeance , intérêt , ou tout autre mobile , n'ins- 
pire pas sa conduite : il n'a sous les yeux que le de- 
voir qu'il doit remplir, quels que puissent être le dan- 
ger et l'issue. 

Hélas ! quel horrible dessein roule dans sa pensée , 
que d'embûches prépare cette horde sans loi , de toute 
part accourue! Elle concerte, pour l'arrivée du* hé- 
ros, mille pièges secrets, et déjà s'applaudit de sa 

* 

proie. Il semble avoir donné carrière à son imagina- 
tion et mériter plus d'éloges, celui qui, plus fécond 
en noirs projets, a vomi d'une bouche impure, aux 
applaudissements d'une horde frénétique, un forfait 
exécrable, ignoré, sans exemple. 

ce Qu'au moment, dit l'un, où son pied touchera 
<K le rivage, un glaive subitement l'atteigne, et que 
ce les débris de son corps, je le dis avec horreur, 
« soient semés dans les ondes voisines. — Plutôt, dit 
« un autre, que de cent côtés à la fois^ quand, pour 
« traiter, il s'avancera sans crainte au milieu de no» 



am EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

— — ^— ^i^— ^— — ■— M^MI— ■ —Ml— I «Il ■ ■ I II ■ I !■■>. I - I , 

In caput j alterius mooitu y violabile nuUi , 
Pulvere nitrato prœgnans , cava fistula mortem 
Eminus ejacularetur : seu tramite subter 
175 In terrain ducto, qua vir procédât, oportet, 
Nonnullo suadente , lateus erumperet ignis : 
Atque alia éructant alii , superanda vicissim : 
Perversas adeo mentes h^bet aemulus ardor 
Crimina patrandi, sic dulce est dedecus illis! 

« 

18» Ât Deus omnipotens molimina cuncta fefellit. 

Taie vir induitur decus , observantia vu 1 tus 

Tanta est , ut média medios in luce per hostes 

Conspicuus, damno spatietur sospes ab omni. 

Non, nisi magnorum scelerum bene«cognitus usu, 

185 Exitiale nefas peragendum suscipit uUus. 

Cum tamen in pnedam mens involat improba, miruml 
Dextera consilio refugit servire maligno 
Sœvit in offîcium lethale ter apta voluntas , 
Carnificum inclemens animo ter linquitur agmen^ 



CONTRE TRIPOU* %% 

■^i^i— I ^M^P— — ■»— ^.M— Il ■ Il I I ■ 

« remparts j une tourbe meurtrière le perce de traits 

« 

« aigus. — Que sur sa tête, tout inviolable qu'elle 
ce est, dit un troisième, un tube, gros de nitre pou* 
« dreux , lance de loin la mort. — Un dernier veut 
a encore que, dans un sentier ménagé sous la terre, 
ce tout à coup , sous les pas du guerrier, éclate une 
ce flamme inaperçue. » — Des crimes sont prpposés 
qu'effaceront d'autres crimes, tant ces âmes per- 

« 

verses rivalisent d'une homicide ardeur! tant l'infamie 
est chère à ces barbares! 

Mais le Tout-Puissant a. trompé leurs efforts. Telle 
est la noblesse de son attitude et la dignité de ses 
traits, que, au milieu du jour, entouré d'ennemis, 
il marche visible à tous les yeux, et garanti de 
tout danger. Qui oserait , s'il n'a l'habitude des 
grands crimes , se charger de l'exécution d'un pareil 
attentat? Quand un cruel assassin s'élance sur une 
victime, lé bras (qui le croirait?) se refuse à seconder 
un si noir projet. Trois fois une volonté prononcée 
va poi*ter le coup mortel , trois fois le courage aban- 



a4 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

190 Ter manibus trepidis penetrabilis excidit ensis : 
Invitisque dblis, insignem victor inermis 
Ducit inoffensus per compila caeca triumphum. 



Limina jamque subit , Caco haud indigna , tyranni ; 
Sive ut paciferœ det amicum pignus olivse; 

195 Seu, reboante polo, missurus fulmina belli. 

Quid cessas? quid jam, vir magne, tonitribus aures 
Non quatis insanasPQuid stant fera mœnia?Quare 
Vela Noto sinuosa intendens, regia nondum 
Fulgurat horrendum navis ? Credisne futurum , 

200 Ut reperire ftdem semel bis tibi detur in oris? 
Nunquam, post homines natos, Astrasa scelestas 
Visa fuit coluisse plagas, ubi pacta, fidesque 
Cardine versantur duplici , pretiove , metuve;. 
Ëia âge, rumpe moras ; generi ne parce nefando. 

906 Muneribus certent alii : tu, cuspide, flamma. 
Omnia quae subigit, ratio civilis agendi , 
Non hic componat secum pugnantia verba : 
Detestanda nihil, prœter vim, turba veretur. 



f3= 



CONTRE ÏKIPOLI. a5 



donne la horde meurtrière; trois fois, près de frap- 
per, le glaive échappe à la main efirayëe; et, malgré 
les embûches y le héros, sans armes et sans obstacles, 
passe , triomphant , sur des places dangereuses. 

Bientôt , entré au palais du tyran , palais digne de 
Cacus, il va lui présenter l'heureux symbole de la 
paix , ou , des foudres de la guerre , faire retentir le 
ciel. Guerrier fameux, qui t'arrête ? Pourquoi ne pas 
frapper de tes bronzes tonnants les oi*eilles enne- 
mies, et laisser encore debout ces remparts mena- 
çants? Pourquoi, déployant aux vents ses voiles si- 
nueuses, le vaisseau de ton roi ne lance-t-il pas ses 
foudroyants éclairs? Crois-tu que, sur ces bords, il te 
soit jamais donné de trouver la probité? Non, depuis 
la naissance des hommes , Astrée ne parut jamais ha- 
biter ces plages criminelles, où tournent, sur le double 
pivot de rintérêt et de la crainte, les traités et la foi. 
Il faut agir; ne tarde plus, et garde d'épargner cette 
horrible peuplade ! Laisse à d'autres les présents ; 
recours, toi, au fer, à la flamme : qu'habile à tout 



a6 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Obsecrat assiduus tutas dum fœdera pacis j 

itio Barbarus effugia exquirit , disturbet ut unam , 

Ad rem qua tantum veniat sententia , legem. 

Non quod soUicitus Gallos sibi quaerat amicos; 

Sed modo ut in veniat, quo pacto imponat utrisque : 

Frustra 4 circumspecta prseest sapientia dictis : 
216 Callidus, objecit quaecumque dolosa, retundis. 

Quam maie conveiiiat, primo, quem obtendit, honori, 

Communem sociis , et , cui parère tenetur 

Subjectus , régi , sociasse penatibus hostem , 

Ostendis; concertatos dein puppibus altis 

220 PoIIicitus , quondam nulli data gloria , captos 

Mittere barbata ad dominum comitante caterva ; 
Nam , post multa vafer, dominum prsetexit et ipsum : 

Nulla reliquisti, vero quae opponere posset. 

Se tamen obfirmat, causisque resistit in isdem; 

235 Non secus, àc «irdo, aut si fiant verba sepulto. 

Altius haec prsevisa tibi , Maurusia quorsum , 



CONTRE TRIPOLI. %n 

aplanir, la politique n'arrange pas ici des paroles que 
dément la vérité : il n'est que la force pour effrayer 
ces monstres. Alors que ses instances réclament une 
paix assurée , le barbare épie le moyen d'anéantir la 
condition sur laquelle seule peut reposer un accord : 
ce qu'il cherche , ce n'est pas un ami dans le Français ; 
c'est le secret d'en imposer également à deux peuples. 
Mais en vain : discret et sage, tu pèses tes paroles; 
et tu sais réfuter tout ce qu'allègue sa duplicité. 

Tu lui montres combien sied peu, à l'honneur dont 
il se targue, d'avoir admis dans son palais l'ennemi 
commun de ses alliés et du prince à qui il doit obéis-- 
sance , puis de promettre ( promesse restée toujours 
sans effet) d'envoyer à son maître, sous une'hi-^ 
deuse escorte, les captifs réunis sur la nef portu- 
gaise. Car , après mille défaites , le perfide allè- 
gue aussi les ordres de son maître. Mais tu ne laisses 
rien qu'il puisse opposer à la vérité. Cependant il 
insiste, et s'appuie sur les mêmes motifs. On dirait 
que d'un sourd ou d'un mort tu réclames l'attention. 



,1' ■ '1 ^\rx 



a8 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

ExpertOy rabies in fas pervadat, et aequum; 
Natura indociles plus indulgentia quanto 
Difficiles animos reddat : sed Marte feroci 

230 Subversurum operum moles, atque impia letho 
Corpora, sic meritos juvenesque, senesque daturum , 
Cuncta prias tentare juvat : si forte disertis 
Vocibus edictos miserandae stragis acervos 
Formidet genus ignavum ; neque sanguine mixto y 

235 Proh.dolor! humano, pigeât vidissé rubore 
Cœrula tincta novo, terrasque cruore madentes. 
Quid vero pietas prodest? spes interit omnis; 
Curœque , aerumnaeque ingentes irrita cedunt. 
Nequicquam gemitus imo de corde petitos 

340 Ëdis : inhumanos opuà est advertere in hostes. 



Tum demum indignans y hostilia concipit héros : 
Omnia mente putat temeraria gentis iniquœ ; 
Horrida tecta , urbemque feram j portusque relinquit. 
Supplicibus facilem nuper , nunc ardor adurit 
245 Calcandi tumidos : velutinemoralibus umbris, 



CONTRE ÏRIPOU. 29 

L'expérience t'a prouvé les attelâtes que porte à la 
justice et à l'équité la fureur du Maure : indocile par 
caractère, l'indulgence fortifie encore son penchant 
à la révolte. Près de renverser par une guerre dé- 
vastatrice des édifices immenses, et de livrer à une 
mort méritée des êtres impies , jeunes gens et vieil- 
lards j tu recours à de nouvelles tentatives ; tu espères 
que la pieinture éloquente du carnage et des cadavres 
amoncelés portera l'effroi en des âmes pusillanimes , et 
t'épargnera le regret de voirencorevainqueurset vaincus 
rougir de leur sang les plaiqes de la terre et de l'onde. 
Mais que te sert là pitié? Toute espérance a disparu; 
les soins et les efforts s'évanouissent impuissants. £n 
vain , du fond de ton cœur, tu tires des gémissements; 
il te faut sévir contre de cruels ennemis. 

Alors enfin la colère inspire au héros la vengeance : 

' à la pensée des crimes de cette gent inique , Campbell 

abandonne le palais, et la ville, et le port. Naguère il 

écoutait la prière, il brûle aujourd'hui de terrasser 

l'orgueil. — Ainsi , dans sa marche en d'épaisses forêts 



3o EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

/ 

Aut cum per Libycas fertur jejunus arenas, 
Rex leo fastidit generosus y calle viator 
Corpore qui jacuit pavidus ; tructilentus at ipse , 
Quem videt adversum , frendens evertit, et audax , 

350 Quo plures oppugnabunt ^ magis aestuat ira ; 
Nec^ jaculis acies horrens si provocat unum , 
Segnior aggreditur moriturus in arma décore: 

^re salutanti , plausuque sequente faventum , 
Ecce statim malo signum diverberat auras 

355 Sànguineum , non enarrabilis omina cœdis. 

Turba modum nescit : Martis ccirtamina poscunt. 
Omnia rite parant ; describitur ordine munus 
Cuique suum, navis dum pandas explicat alas. 
Fax manibus lucet : reseratis seiiea centum 

360 Ora patent foribus, volucrem mini tan tia mortem. 



Jam tremit urbs infida , manus ad sidéra tollens ; 
Jam confessa nefas , in semet probra rétorquons , 
Orantes mittit supplex brève tempus , anhelis 
Quo requics animis , liceatque timoré solutis 



CONTRE TRIPOLI. 3i 

ou sur les sables de ta Libye , le roi des anilmaux , gé- 
néreux malgré sa faim , dédaigne le voyageur que la 
crainte étend sur la poussière ; mais, irrité à la vue de 
la résistance , il rugit et renverse : plus les assaillants 
sont nombreux y plus sa fureur est vive; et seul, sur 
le bataillon , hérissé de javelots , qui le défie , hardi- 
ment élancé, il va mourir avec gloire. 

Tout à coup , au bruit de Tairain , aux applaudis- 
sements qui l'accompagnent , voilà que , déployé, san- 
glant, sur le mât , un drapeau fouette les airs et présage 
un effroyable carnage : le Portugais ne connaît plus de 
mesure , et demande le combat. Bientôt tout est 
disposé; à chacun est marqué son emploi; les voi- 
les sont tendues; dans les mains la mèche s*en- 
flamme , le bronze ouvre ses cent bouches , et d'une 
mort soudaine menace l'ennemi. 

Déjà tremble et tend les mains au ciel l'infidèle cité ; 
déjà , confessant son crime, elle en rejette la honte sur 
elle-même; puis, suppliante, elle envoie demander 
quelques délais : irrités, les esprits pourront se cal- 



3!i EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

S66 Consuluisse sibi : referunt concessa precantes. 
Débita jampridem , duodenam tardât in horam 
Pœna dolis, populo infligenda protervo. 



In nubem interea nigrantem cogitur aer , 
Nec dudum splendens, tristis prœsagia damni. 

S70 Concio narratur- procerum numerosa sub Orco 
Pro consanguineis, tetrico circumdata Dit!, 
Christiadum in cœtum ^ quos Lysia nutriit uber , 
Nunc vastaturos Mahometica mœnia misit , 
M ulta Jovem Stygium manibus rogitasse supinis ; 

S76 Âudiit umbrarum rex impia vota precantum ; 
Et famulo quem habuit propiorem , talia mandat : 
Quod celer ^oliam superas apportet in auraa 
Ventorum hœc torvo tempestatumque tyranno 
Edieenda suis verbis : u Tentare superbum, 

280 " Tartara defraudantem animis, Acheronta perosum, 
« Nil non audentem populuni vada salsa carinis 
« .£quorei fratris liquentia régna j subinde 
« Quem \ult admonitum : Sociis ut viribus ambo 



CONTRE TRIPOLI. 33 



mer, tremblants, pourvoir à leur sûreté. La prière 
obtient un favorable accueil. Douze heures retardent 
le châtiment qu'a depuis longtemps mérité et que va 
subir ce peuple insolent et perfide. 

T/air cependant se condense en nuage épais , et , 
cessant de briller, il annonce une déplorable ruine. Au 
fond de l'abîme , une assemblée nombreuse réunit les 
chefs du sombre empire aux pieds de leur sombre mo- 
narque : c'est pour leurs frères qu'ils conspirent contre 
Jes chrétiens que la féconde Lisbonne, leur nourrice , 
envoie ravager une cité musulmane. Les mains ten- 
dues vers le tyran du Styx, ils lui adressent mille 
prières. A leurs vœux impies souscrit le roi des om- 
bres. Le ministre placé à ses côtés est chargé de ce 
message: qu'il traverse les airs, et que, arrivé prompte- 
ment en Éolie , il dise en son nom , à l'arbitre farouche 
des tempêtes et des vents, ce qu'un peuple superbe, 
a ennemi duTartare, auquel il ravit des victimes, ose, 
ce dans son audace extrême , sillonner , sur de frêles 

« esquifs, la plaine salée, l'humide empire de son 

3 



34 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

« Indigna sibi grata loca obsidione prementem 
2H5 « Exagitent mare per vastum , stridente procella , 

« Rectoré amisso , rupta compagine ^ puppem ; 

« Sive vadis illidendam , saxove latenti 

a Praecipitem avertant pelago ; fremituque rogantum 

« Auxilium frustra audito , festiva bibentes 
•J90 (c Urbs mortem cernât mediis in fluctibus ipsos. » 

Dixit , et in superas jam nuncius evolat auras ; 

Advenit iEoIiam properans , ac jussa facessit. 

Mittitur angusto jam carcere turbidus Eurus , 
Obvia quaeque trahens. Mollis fugit aura Favonî; 

295 Lux fugit : horrisonum cœpit mugire profundum. 
Unda tumet ; totumque cito canescere pontum , 
Undique prœruptos videas consjurgere montes. 
Lignea texta gemunt; arbosque triplex momento 
Hue illuc decies , jamjam lapsura , vacillât. 

300 Utque pila si quis voUtauti luderet icta , 

Sidéra nunc tangit^ tangit nunc Tartara pînus ; 



CONTRE TRIPOLI. 35 



ce frère , et qu'il lui transmet cet avis : il faut j contre 
ce le mortel occupé de presser, d'un siège funeste, une cité 
« qui lui est chère, reunir leurs forces, le poursuivre 
« sur l'étendue des flots, soulever la tempête; il faut 
f< immoler le pilote , précipiter le vaisseau contre des 
a bancs perfides, des écueils inaperçus, l'abîmer loin du 
t bord; il faut que les ennemis aux abois demandent 
•c en vain du secours, et que Tripoli triomphante les 
« voie boire la mort au milieu des eaux.» A ces mots, le 
messager remonte vers la plage éthérée , atteint d'un 
vol rapide l'Éolie , et remplit le message. 

I^ncé hors de son étroit cachot, l'impétueux Eurus 

V 

entraîne tout sur son passage; le zéphyr, h la douce 

haleine , s'enfuit , le jour s'éteint ; la mer , dans ses 

gouffres profonds ^ commence à mugir ; l'onde s'enfle 

et se couvre d'une blanche écume : de tous côtés on 
voit se dresser des montagnes liquides; du vaisseau 

les ais crient ébranlés, et , dix fois dans un instant , les 

trois mâts vacillent, près de tomber. Pareille au ballon 

qui rebondit sous la main du joueur, la nef touche 



•J. 



36 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Itque reditque fréquent, sursum levls, atque deorsum. 

Condîdit ora tribus lugubris ApoUo diebus ; 

Noctibus atque tribus sua luinlna condidit aetber : 
3«5 Nec, violenta die veterator flabra secundo 

Si tenet Hippotades , fraus est accrédita cauto. 

Horrida bella parans , ferroque instructus et igni , 

Duin malus assimulasfaciein^ Neptune , serenam; 

Dux jubet expertus niox proram obvei'tere in altum, 
310 Ut fréta permiscent iterato murmure venti : 

Littoreis ne forte salis violentia molem 

Turbine jactatam nimboso impingat arenis. 

Hue vi, qua pollent, contendit numen utrumque : 
Qua circum patuit Nereus , circumvenit hqrror. 
315 Luctantur varia fratres regione furentes; 

Fluctibus incursant fluctus; subito mare motu 
Intremuit longum : mediae telluris ab imis 
Visceribus credas orbem Plutona movere» 



CONTRE TRIPOLI. 37 



tantôt les astres , tantôt les enfers : sans-^c^ésse elle va , 
revient, pour monter et redescendre encore. Le soleil, 
dans le deuil , pendant trois jours entiers a caché sa 
face ; durant trois nuits , la lune a dérobé sa lumière 
à la terre; et si, au second jour, le fils d'Hippotas 
vient à modérer son souffle, la ruse n'endort pas la 
prudence du héros. C'est la guerre avec ses horreui's 
qu'il prépare ; c*est du fer et de la flamme qu'il s'arme ; 
et tandis que tu semblés , ô cruel Neptune , rasséréner 
ta surface, Campbell, instruit par l'expérience, tourne 
soudain la proue vers la pleine mer, quand le souffle 
des vents bouleverse de nouveau les eaux : il craint 
que , emporté par la violence d'un tourbillon , le 
vaisseau n'aille échouer sur les sables du rivage. 

Les dieux alors signalent à Tenvi leur commune puis- 
sance. Sur l'espace liquide d'alentour règne une pro- 
fonde horreur: de côtés divers luttent les frères irrités; 
les flots s'élancent sur les flots; un mouvement soudain 
agile l'étendue des ondes; on dirait que, du centre 
de ses abîmes, Platon vient ébre^nler la terre. Parmi 



:i8 EXPEDITION DES PORTUGAIS 

Tôt simul impulsum^y qua dirigat arte oiagister 
3-20 Praecepti ligaum impatiens? Abi^que rudentesque 
Haud perstare valent : antenna fragore ruinam 
Ingentem traxit, lacerataque vêla susurrant. 

Curarum, haec înter, minime vir mole gravatus 
Omnibus acer adest, partes divisus in omnes; 

325 Consilio exemploque juvans. Abit œmula vîrtus 
Tn cunctos : nemo segnis : rapiuntque , ruuntque. 
Ars vicit prudens; audax constantia vicit; 
Atque alta aequatis jam velis aequora navis 
Sulcat ovans. Nutu qui fulgida sidéra torquet, 

330 Qui mare, qui ventos, Erebum, terrasque gubernat, 
Haud sinit infestos ultra nocuisse tumultus. 
Namque modo ut virtus niteat memoranda virorum , 
Tôt licuit pugnas ventisque, undisque cîere. 
EfFera placatur sensim discordia fratrum : 

335 Nubibus obductus, solito fit purior aether : 
Lux redit; atque redit jucundior aura Favonî : 
Ut fluctus revocet, squammosam assumere concham 



CONTRE TRIPOLI. Scj 

tant d'assauts livrés à la fois, quel moyen reste au 
pilote pour diriger la nef indocile? Tout cède, ^îs 
et cordages ; la vergue tombe; un vaste fracas éclate, 
et les voiles sifflent déchirées. 

Campbell cependant ne plie pas sous le poids des 
soucis : à tout suffit sa vigilance; présent partout, 
partout il donne le conseil et l'exemple. Une noble 
émulation passe dans toutes les âmes. Il n^est plus 
d'indolents; tous s'armeat, et volent au combat. £n6n 

triomphent l'adresse et la prudence, la constance et 
l'audace ; et la nef victorieuse sillonne à pleines voiles 

l'humide empire. Le moteur suprême des astres étin- 
celants, l'arbitre souverain ^e la mer et des veilts, 
de la terre et de l'enfer, met un terme à ces funestes 
orages. C'es^t pour relever l'insigne valeur des guer- 
riers, qu'il a permis tant de combats sur les ondes et 
dans l'air. Les frères irrités calment par degrés leur 
discorde ; le ciel , qu'enveloppaient les nuages , rede- 
vient plus serein; le jour reparaît; avec lui reparaît 
la molle lialeine *(iu zéphyr. Pour rappeler les flots , 



40 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Jussus erat Triton ; assumptaque uvidus ille 
In summas emergit aquas, maria omnia circuni 

340 Voce repleturus : vox protinus attonat ingens; 

Baucosque audivere sonos occasus et ortus. 

Quaeque suos , invita licet , petit unda receptus : 

Haec propior Siculas festina recedit in oras; 

Hanc Syrtes capiunt; longinquas illa revisit, 
345 Venerat , unde pari Tripolis pro nomine, ripas : 

Oceani juxta fines nonnuUa moratur; 

Excita non alias fundo , quœdam ima resedit. 

Ërgo die tandem quarta ^ dum barbara summis 
Culminibus turba explorans , iliusa putabat 
•^ Corpora naufragio fluitantia cefnere longe , 
Antennas, tabulasque; ut Lysia gaza per undas 
Nota foret cuidam; aut qui non auderet acutum 
Sic vidisse procul , démens jactabat ubique : 
^ Nil, nisi relliquias, si cui maris ira pepercit, 



CONTRE TRIPOLI. 4i 



Triton reçoit l'ordre de prendre sa conque ëcailleuse. 
Cet humide demi-dieu , l'instrument à la main, re- 
monte à la surface des eaux, et va remplir de ses 
cris toutes les mers d'alentour. Sa voix retentit comme 
le tonnerre ; le couchant et l'aurore ont entendu 
ses rauques accents ; chaque flot se rend , quoique à 
regret, à son lit : l'un regagne rapidement les bords 
rapprochés de la Sicile, l'autre se plonge dans les 
Syrtes, un troisième retourne vers les rivages loin- 
tains qui portent un nom semblable, le nom de Tri- 
poli. Celui-ci ne franchit pas l'entrée de l'Océan; ce- 
lui-là , enseveli jusqu'alors dans l'abîme > s'y replonge 
pour jamais. 

Enfin le quatrième jour a paru : le barbare, de 
ses hauteurs, promène soigneusement les yeux : il 
croit, dans son illusion, voir flottants dans le loin- 
tain les débris du naufrage, des corps, des vergues 
et des tables : celui-ci reconnaît sur les eaux les tré- 
sors du Portugal ; celui-là, à l'œil moins perçant , aime 
à redire que le vaisseau fracassé ne ramènera sous le 



4a EXPÉDinON DES PORTUGAÏS 

355 ËfFractam laribus puppem retulisse paternis : 
Laxa gubernator dat amicis carbasa ventis; 
Âtqiie eadem relegens, ad cognita littora^ tendit 
Incassum, méritas dudum, vitantia pœnas. 

Jam nox finierat ; sed nondum luce corusca 
3C0 Fulgor Âpollineus terras complebat, et aequor; 
Ut Deque jure diem posses, neque dicere noctem 
Cuin vero illuxit , penitus fugientibus umbris ; 
Et caput Eois Hyperione natus ab undis 
Extulity ipse prior velis, remisque celocem 
365 Insignem propius vidit^ nautisque videndam 
Obtulit : insequitur navis : fugît illa volucris ^ 
Agmine remorum céleri, ventisque vocatis. 
Ac veluti properis quaerit per inania pennis, 
Yix aquilam sensit , tremefacta columba salutem ; 
370 Nec legit exanimata locum , seu lustra ferarum , , 
Sive nemus , seu sint niagnarum tecta domorum : 



CONTRE TRIPOLI. 4*3 

toit paternel que des fragments échappés à la fureur 
de la mer. Le pilote livre les voiles détachées à la mei*câ 
des vents; puis il les replie, et vogue en vain vers des 
rivages connus, qui se dérobent à des châtiments de- 
puis longtemps mérités. 

Déjà la nuit a disparu; mais le soleil n'éclaire pas 
encore , de ses brillants rayons , la terre et la mer : 
aussi ne peut-on dire s'il est nuit ou s'il est jour. Mais 
à peine le jour a lui et dissipé entièrement les té- 
nèbres; à peine le fils d'Hypérion a levé sa tête au- 
«lessus des ondes orientales, Campbell s'approche, 
-et, le premier, aperçoit et montre 'aux matelots une 
polacre que , distinguent ses rames et ses voiles. I^ 
vaisseau portugais la poursuit ; elle fuit avec une ra- 
pidité que secondent la foule des agiles rameurs et les 
vents invoqués. Ainsi la colombe effrayée sent à peine 
l'approche de l'aigle, que, à la faveur de ses ailes ra- 
pidement agitées, elle cherche son salut dans les airs; 
demi-morte , elle ne choisit pas son asile : qu'importe 
le repaire des monstres, un bois toufTu, ou le toit d'un 



A4 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Diimmodoy quam raro! curvos eluserit ungues : 
Sic ratis, exiguis pro viribus aufugit hostem 
Parvula praestanteni , flexis ambagibus; et cum 

V 

375 Non datur elabi , fragilem conterrita prorani , 
Jamjam haesuia vado , solitis advertit arenis. 
Hic animos reparata sedet securior; altam 
In brevia haudquaquam desceudere posse carinam 
Quippe sciens. Tum, elata fronte, insana superbit; 

m 

38U Pr^elia tum jactat ; tum cristas vertice tollit ; 
Et quibus attingi non possit, in arma lacessit. 
Haud impune quidem : nam quid mortalibus obstat , 
Ut semel irarum aestus fortia pectora movit? 

Exteinplo , ducente scapha , exiluere phaseli 
^86 In mare veloces, flagrantes vindice flamnia. 

Certatim délecta phalanx incœpta capessit : 
Plurima quisque dédit ; nuUus non magna patravit. 
At laus prima tibi, cognomen OH va IMinervse 
(jii fecit, cui nunc victricia tempora cingit. 



C0NTRE»TR1P0LI. 45 



vaste palais 9 pourvu qu'un rare hasard la dérobe aux 
griffes recourbées de l'ennemi? Ainsi ^ autant que le 
permet sa fi^blesse, la pauvrette, à force de détours, 
fuit les atteintes d'un ennemi puissant; et quand elle 
ne peut échapper, pour s'échouer contre des écueils, 
dans son effroi , elle tourne sa proue fragile vers des 
sables connus. Là , son courage se ranimé; elle res- 
pire moins craintive , assurée qu'en ces eaux peu pro- 

« 

fondes ne peut descendre un vaste navire. Fière et 
présomptueuse, elle lève alors le front, menace d'une 
attaque , étale ses banderoles , et défie au combat 
l'ennemi qui ne la peut atteindre. Mais cette bravade 
n'est pas impunie. Quel obstacle peut arrêter un mor- 
tel , dès que son âme brûle- des feux de la colère? 

Tout à coup , conduits par un canot , s'élancent à 
la mer de rapides batelets qu'embrase une ardeur ven- 
geresse. L'élite des guerriers portugais commence a 
l'envi l'attaque. Pour chacun il est des faits nombreux , 
pour tous des faits éclatants. Mais le premier exploit 
te signale , toi à qui l'arbre cher à Minerve donna 



/i6 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



390 Tu cytnbam ingrederis primus; tu grandine primus 
Ignifera minime tardatus, verbera remi 
Saepius ingèminans, hostilia castra prehendis; 
Cum perculsa manus formidiné , vincula rumpit , 
Navigioque simul tutam procumbit in actam : 

3»5 Tuque idem primus , pariter cum fulmine fictos 

Forcipe Cyclopum, globulos displodis in hostem. 
Sunt majora tameu : discrimina dura supersunt, 
Quâe te saxosi rapiant ad culmina montis, 
Begnat ubi aurato sublimis Gloria templo, 

400 Gemmea sceptra tenens , comitatu cincta frequenti ; 
Quos apud aeterno perstes e marmone totus. 
Non satis est tetigisse ratem ; non scandere plures 
Ex sbciis vacuam : miscentur gaudia luctu, 
Ëxitio quae aliis, ut iniqua sorte juveris. 

105 Unda repente duos tec um post terga reducit ; 
Undaque fluctivagos refluens ad littora volvit. 
Hic sis, apparet, quantus vir; miraque fulget 



CONTRE TRIPOLI. 47 



le suriimn d'Olive , et ceint aujourd'hui le front vain- 
queur : le premier, tu envahis la polacre musulmane ; 
le premier, bravant une. grêle de balles, et redoublant 
le mouvement de la rame , tu abordes la poupe en- 
nemie. Dès lors, glacé de frayeur, le barbare rompt 
les chaînes , et va échouer son esquif, à l'abri du dan- 
ger, sur le rivage. Le premier encore, tu lances à 
l'ennemi des balles qu'a forgées , en même temps que 

la foudre , la main des Cyclopes. Restent encore de 
plus beaux faits : de glorieux périls t'attendent, qui 
te conduiront au sommet de ce mont rocailleux où 
règne la Gloire, dans un temple doré : elle tient un 
sceplre de diamants; un cortège nombreux l'envi- 
ronne, (j'est là que tu vivras immortel sur le marbre. 
C'est peu d'avoir atteint le vaisseau des barbares, 
peu de l'avoir, après leur fuite, garni de quelques 
compagnons. Pour l'ennemi la peine , pour toi le 
plaisir : le sort le frappe ^ et te seconde, â ta suite , 
l'onde soudain amène deux amis , et les roule , à 
son retour, vers la rive. C'est là que se montre 



48 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Hic animi virtus et corporis , una labores 
Herculeos vincens, quidquid voluere poetse. 

4 10 Gens fera vicinos , Arabum de stirpe creati , 
Ërrabuûda colit montes, hirsuta, nigroque 
Terribilis vultu ; pecudum , de more luporum , 
Sanguine pasta, gregi quas devins abstulit error : 
iEmula seu tigridis , praedatur ovilia , silvas , 

4I& Praedatur; nullumque locum non caede replebit. 
Telis armata omnigenis héec, fustibus, hastis; 
Pars gladioy sicave minax; pars igné, sagittis, 
Aut saxis, aliisve, cacumina celsa relinquunt, 
Fratribus auxilio celeres : numerare quis ausit? 

i2ii Gramineos armenta putes populantia campos. 

Ac tanquam oppugnet montano in vertice castrum; 
Aut obeat validus turritam exercitus urbem; 
Utraque colluvio très obsidet, utraque toto 



CONTRE TRIPOLI, 49 



en toi le^rand homme; là que brille la force de ton 
âme et de ton corps, qui seule efface les travaux 
d'Hercule et les fictions des poètes. 

Sur les monts : voisins habite un peuple vagabond , 
issu de sang arabe , peuple à la chevelure hérissée , 
au visage noir et menaçant. A l'exemple des loups, 
il se repaît du sang des brebis qu'un écart éloigne du 
troupeau, ou, rival de la tigresse, il dépouille les 
bergeries, ravage les forêts, et sème en tout lieu le 
carnage. Des traits divers , lances , bâtons , chargent 
ses mains; armés, les uns d'épées ou de poignards, 
les autres de brandons et de flèches, de pierres et 
d'autres objets, les barbares, de leurs hauteurs aban- 

c 

données , volent au secours de leurs frères. Qui pour- 
rait les compter? Ils semblent des troupeaux paissant 
l'herbe des champs. Tels que les assiégeants d'un 
fort sur une haute montagne , ou tels qu'une armée 
formidable observant une cité garnie de tours, l'une 
et l'autre horde assiège trois guerriers, et n'épargne 
aucun effort. Si, naguère, chacun d'eux soutenait 



5o EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



' Pectore conatur : decies si quinque dabantur 
436 Hostes cuique trium nuper, nunô millia cuique 

Obveniunt; acres , firmis ac viribus omnes. 

Quis tam facundus verbis portenta sequatur? 

Quis satis obstupeat? Quis non, pro testîbus orbis 

Ni sit terrarum cunctus, niendacia dicat? 
430 Qui vidit , quique egit , adest ; aiiditur ubique. 

Cernere erat, praevisa quidem spectacula nusquam. 

Impavidus populum incursantem sustinet héros ; 

Sustinet atque cornes duplex incensus ab ipso. 

Vis furibunda ruit : valles clamore résultant. 
436 Hinc, atque hinc effraena virum urget : sibilat ictus 

Creber : at ille omnes dextra, laevaque repulsat, 

Integer, immotus. Geminat pudor ipse furorem : 

Mille noyas addunt variis assultibus artes; 

Yulneribusque manet vir non penetrabilis ullis. 
440 At contra Stygias multos deturbat ad undas : 

Irruit hue, atque hue ; frustra nec fulminât ensis. 

Cominus audenti ferrum buic in viscera condit ; 



CONTRE TRIPOLI. 



cinq fois dix assaillants , chacun d'eux aujourd'hui en 
soutient mille, tous pleins d'ardeur et de forces. Est-il 
homme assez éloquent pour retracer ce prodige et 
Tadmirer assez ? Qui ne crierait à l'imposture , s'il 
n'avait pas Tunivérs pour témoin ? Oui ■•, auteur et 
témoins vivent encore ; partout le proclame la re- 
nommée. 

On Vit alors ce, que n'avait jamais vu le passé : un 
héros soutenant , sans pâlir y l'attaque d'un peuple en- 
tier ; un héros que secondent deux compagnons qu'en- 
flamme son exemple. I^a horde s'élance avec fureur , 
et remplit les vallons de ses cris. A droite, à gauche , 
elle presse sans frein le héros ; les coups sifflent et se 
succèdent : lui , à droite , à gauche , il les repousse , 
toujours inébranlable et sans atteinte. La honte même 
double la furie des barbares. Aussi , à leurs attaques, 
joignent-ils mille nouveaux artifices. Mais le guerrier 
reste impénétrable à leurs coups. Que dis-je? sur les 
bords dû Styx , il précipite nombre de victimes. Tantôt 
d'un côté , tantôt d'un autre , il charge , et son glaive 

/4. 



5a EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Hune hasta metuendum oblonga, corpore vasto, 
Ductori similem tardos in bella vocantem , 
446 Haud gemino plus ictu , hastili dejicit orbum : 
nie cadit mutilus ; vitam eiïlat et aller anhelus : 
Hic caput avulsum ; jacet illic truncus : oberrant , 
Quo visus cumque inteadas, vaga crura, lacerti. 



Qui trahis Âlmedia de gente agnomina , Joseph y 
450 Palladiis pulchre conjungens Martis honores j 

Et tibi clara dies peperit decus immortale. 

Littore qui certant , et quos , sidente phaselo , 

Capta celox tenuit, crudelia multa ferentes ; 

Quod salvi rédiere / tuum est. Dum navus utrisque 
^"^^ Subsidioy magni vestigia firma sequutum, 

Mittis Âlexandrum ; ter senis oribus unum 



-'-■'■'-'■■"'-'■■ .11.1 ' ■ ■ I 

CONTRE TRIPOLI. 53 



ne brille pas en vain : du premier qui s'approche , il 
perce les entrailles ; un autre qui , redoutable par la 
longueur de sa lance et la masse de son corps , semble 
un chefappelant les plus lents au combat, d'un double 
coup il le désarme et l'étend sur la poussière. Celui-ci 
tombe privé d'une partie de lui-même, celui-là perd 
à la fois la respiration et la vie ; là gît une tête déta- 
chée , ici un tronc informe : la vue , partout oîi elle 
se porte, ne rencontre que. des jambes et des bras 
mutilés. 

O toi qui aux Alméida as emprunté ton. surnom , 
et sais joindre les talents de la paix à ceux des com- 
bats, ce beau jour, ô Joseph, t'a aussi assuré une 
gloire immortelle. Les Portugais qui combattent sur 
le rivage ^ et ceux que la perte de la chaloupe et la 
prise de la polacre retiennent au milieu d'horri- 
bles souffrances , s'ils reviennent avec la vie , c'est 
ton ouvrage. A ta voix , pour les secourir , Alexan- 
dre part , fidèle à l'exemple d'un antique héros ; un 
tube de bronze , qui seul a répondu et commandé à 



54 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Quod responsa dabat , jussitque silentia , rursum 
Os medios atra spargit sub nube fréquenter, 
Horrifico somtu , fatalia frusta per hostes. 

460 Tu terrore animos turbasti primus, arenas 

Sanguine ut imbutas gens aspera vidit et undas : 
Finiit emissus vir caetera. Remîge prono 
Impiger ille fretum verrens , mandata facessit : 
Pervenit ad sooios \ inimicum vertit in ipsos 

M6 ^s dominos^ glandesque suas in littora mittit. 
Agmina jam cedunt reU^o : gelidus quatit artus 
Jam timor : in di versa capit , quasi sumeret alas y 
Quisque fugam \. strepitumque putat sentire sequentis. 

Tum vocat ad navim cunctos; atque obviusunum 
470 Quemque petit Ductor complexu, gaudia verbis 
Testatus , facieque : memor cujusque décora 
Singula commendat , meritis ac laudibus ornât ; 
Grataturque sibi , quod talibus imperet , ipse. 



CONTRE TRIPOLI. 55 

trois fois six bouches d'airain le silence , recommence, 
avec un horrible fracas , à répandre parmi les bar- 
bares une grêle incessante d'objets meurtriers. Tu as ^ 
le premier, glacé d'effroi leur âme farouche , à la vue 
du sang qui rougit et l'onde et le sable : l'arrivée du 
guerrier a terminé le combat. Â l'aide du matelot in- 
cliné sur la rame , Sousa a balayé les flots , exécuté 
les ordres ; et , réuni à ses compagnons , il tourne 
contre ses maîtres le canon des barbares , et leur ren- 
voie leur plomb même au rivage. Déjà leurs bandes 
reculent y une froide terreur a saisi leurs membres : 
chacun fuit , commç s'il avait des ailes , de cent côtés 
divers , et croit entendre Tennemi attaché à sa pour- 
suite. 

Tous , Campbell les réunit à son bord« Vers chacua 
il s'avance , et le presse en ses bras. Son air, ses pa- 
roles témoignent Tallégresse. Sa mémoire lui rappelle 
tour à tour les exploits qui les honorent , et , dispen- 
sateur d'éloges mérités , il s'applaudit de commander 
de semblables guerriers. 



56 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Postquam ammos novit recreatos, vespere cœpit 
475 Sedulus, ut fieri potuit, loca adiré vadosa^ 

Tune rutilas primum jaculatus in agmina flammas ,. 
Desertum, numéro plures^ repetentia littus. 

Tum parvae sûb matrc rates y nam marmora plane 
Strata silent y interclusam removere celocem 

490^ Margine connixae tentant , conamine cassa. 
Ludentes nymphae super insiluere marinae, 
Atque suam vocitant : at quis vet Doridos audax 
Sedibus obtineat patrîis depellere natas ; 
Vel , quœ operi admoveat , Briareia bracchia tendat ? 

485 Hoc tamen haud vestrum munus, Nereia proies^ 
Quaeque. venusta licet, licet omnes munere dignae. 
Ignea tlamma vorat , quod non Victoria tollit ; 
Jure quidem : damnis etenim majoribus obstant 
Damna minora ; priusque animos non magna rebelles 

^90 Detrimenta domant , gratos quam munera reddant. 
Pinea jamque ardent : rabies Vulcania régnât. 



CONTRE TRIPOLI. 67 



A peine i) voit sç ranimer leur ardeur : au retour 
de la nuit , ses efforts et ses soins le rapprochent des 
sables, et font pleuvoir des foudres étincelants sur ces 
hordes y qui regagnent, plus nombreuses, le rivage 
abandonné. 

A l'ombre du vaisseau protecteur, alors que la mer 
s'aplanit et se tait , des batelets légers , par des efforts 
réunis, tentent d'éloigner du rivage la polacre 
échouée ; mais , tentative inutile ! les nymphes de la 
mer se jouant à l'entour , s'y précipitent et s'en disent 
les maîtresses. Mais est-il audacieux qui , des États de 
leur mère , réussisse à repousser les filles de Dons ? 
Où trouver, pour semblable travail , les bras deBria- 
rée? Filles de Nérée, quels que soient votre beauté et 
votre droit à pareil privilège , tel n'est pas votre pou- 
voir. La flamme dévore ce qui échappe au vainqueur : 
c'est justice ; de faibles pertes préviennent des pertes 
irréparables ; une peine légère commande plutôt au 
rebelle la soumission, qu'un présent n'inspire la re- 
connaissance. Déjà le pin s'embrase , Yulcain déchaîne 



58 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Pioguia multa foveni , pix , atque bitumina flammas ; 
Ut vix inceptos nemo restinxerit ignés. 
Âudîtur crepitus creber : scintilla videtur , 
♦»5 Fumosis erupta globis , in sidéra velle , 
Unde sibi natale venit, fugitiva reverti. 
Cymba rogus tota e^t : nubes incendia lambunt. 



Talia^ nequicquam furiis incensa, tuetur 

Rustica progenies y latitàns post saxa , comisque 
MK> Arboreis passim protecta ; nec amplius audet , 
Haud oblita sui , communi credere luci j 
Qua valet, in tuto arte nocens. Nam plurimus illinc 
Frustrâtes iterum atque iterum tubus œneus edit, 

« 

Collimante oculo, sonitus; lapis evolat illinc. 
505 Non tamen heu ! frustra omnino : manus impia lethum 
Fert tandem , quo vult : et qui , certamine aperto , 
Vix unum potuere levi perstringere plaga ; 
Insidiis tecti^ crudeli vulnere laesum. 



I ■ I II 

CONTRE TRIPOLI. 59 



sa fureur; la poix, le bitume, la résine, servent d'a- 
liment à la flamme; elle s'allume à peine, que per- 
sonne ne l'éteint ; on entend de fréquents éclats ; on 
dirait que, échappée d'un globe fumeux, l'étincelle fu- 
gitive veut retourner .au ciel , d'où elle tire son ori- 
gine. La polaçre n'est qu'un bûcher : l'incendie va 
toucher la nue. 

he barbare, transporté d'une vaine fureur, consi- 
dère ce spectacle : à l'abri derrière des rochers , et 
protégé par l'épaisseur du feuillage, il n'ose plus, soi- 
gneux de sa conservation , reparaître au grand jour ; 
pour lui , l'adresse consiste à nuire sans danger. De 
là souvent , guidé par un coup d'œil peu sûr, un tube 
de bronze produit, sans effet, de nombreux éclats; 
de là volent aussi des pierres qui , hélas ! ne tombent 
pas en vain. Des mains impies portent enfin la mort, 
et leur but est atteint. Eux qui, combattant à décou- 
vert, ont à peine, d'un coup léger, frappé une vic- 
time , aujourd'hui , grâce à leur embuscade , ils voient ^ 



6o • EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Nunc ferri gaudent unum jam morte gravatum. 

610 Hune modo vietores poscit Bellona eruorem , 

Tôt luitura viris , quodcumque perire necesse est ; 

Ac vitam aetates hinc deductura per omnes. 

Inde gradu celerans invadit secula Petrus ; 

Inde yirens décorât Lodoico laurea frontem; 
^^* Nescius inde mon Joannes extat ; et inde 

Qui meiîto appellatur Homo : et qui nomen adeptus 

A bello appositum, socio Etnmanuele, perenni 

Cum laude , existet dum martia gloria , vivent : 

Sic ridet virtus non exorabile fatum. 

&ao Tempus erat y quo lassa cupit natura quietem ; 

Cum Phaetontis equi stabulis recreantur in altis ; 

Et nox astrifero terras involvit amictu , 

Adducens curis lenimina grata diurnis. 

Tum reparant vires nautae , per strata jacentes; 
636 Tum vario inter se gaudent sermône labores 

Pérfunctos meminisse : quot ictus, quoique pericla 



CONTRE TRIPOU.. 6i 

avec transport y un guerrier qu'emportent, blessé, 
demi-mort, ses compagnons. 

Ce sang, Bellone le demande aux vainqueurs : elle 
veut effacer ce qui , dans les héros , est sujet à périr, 
pour égaler leur vie à la durée des siècles. Aussi, 
d'un pas rapide , Silva a conquis l'immortalité ; França 
ceint son front d'un laurier verdoyant; Rocha défie 
la mort. Magalhaes justement nommé Homem , et 
toi, ô Guerra, toi encore, ô Avellar, vous vivrez 
tant que la guerre sera une source de gloire. Ainsi la 
valeur se rit de l'inexorable destin. 

C'était le temps oii la nature fatiguée réclame le 
repos; où les coursiers du soleil reposent dans leurs 
profondes étables; oii la nuit, aiveloppant la terre 
d'un crêpe étoile, apporte aux soucis du jour d'a- 
gréablés'adoucissements. Etendus alors sur leurs lits, 
les nautoniers réparent leurs forces : là, chacun 
aime, en de mutuels entretiens, à rappeler les fati- 
gues endurées; les coups et les périls qu'il a, en se 
jouant , évités ; les nombreuses victimes qu'il a préci- 



6a EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

!■ Il ■ ■ I I . I. I ■ Il \l 

Fugerit illudens; animas quot misent Orco, 

Dicere quemque juvat ; . donec , non mollior unquam , 

Fessa gravi Morpheus devinxit membra sopore. . 

530 At non perjurœ qui prœsidet impiùs urbi , 
Nec dulces carpit somnos , aut pectore curas 
Consopire valet : scelerum tôt conscia , primum 
Se, cogentemaloy nunc anxia corda remordent. 
Non dolet amissam navim , non caede peremptos 

WB Terrifica cives : sibi tantum prospicit uni. 
Jam videt ultrices flammas; cervicibus ensem 
Jam videt instantem ; prostratas jam videt arces. 
Mens pendet : quid enim , potius quod vellet, habebat ? 

a Anne virum toties delusum fraudibus , inquit , 
540 a Nunc etiam tentare ausim? Non mœsta precantis 
(c Vox merito ardentes nunquam non molliet iras ? 
« Tradere si Gallos properem , non jure negatos , 
« Id sat erit? Dono gaudentem nonne vicissim 
« Promissis , pactaque 6de delectet abuti ? 
545 « Dulce est ulcisci : modo qui neqiiit , hœret inultus. 



CONTRE TRIPOLI. 63 



pitées au tombeau; voilà ce qu'on se plaît à.répéter^ 
jusqu'à l'instant où , plus doux que jamais ^ Morphée 
enchaîne dans un pesant sommeil les corps fatigués. 

Mais le maître impie de cette parjure cité , le corps 
inaccessible aux douceurs du repos , ne peut , en son 
âme y endormir les soucis. La conscience de tant de 
crimes et la violence du mal déchirent son cœur sou- 
cieux. Ce n'est pas le vaisseau qu'il regrette, ni les 
citoyens immolés d'une manière tragique ; c'est lui 
seul qu'il considère. Déjà il voit les flammes venge- 
resses, déjà le glaive suspendu sur sa tête, déjà ses 
remparts abattus. Son esprit flotte incertain. A cet. 
état est-il rien qu'il ne préfère ? 

«Quoi! un homme que j'ai tant de fois trompé, 
a j'oserais le tromper encore ! Mes instances et ma 
<c douleur pourraient calmer sa juste colère ! Les 
« Français injustement refusés , est-ce assez de les li- 
ft vrer aujourd'hui ? Heureux de ce don , ^'aimera-t-il 
a pas à fausser et ses promesses et la foi jurée? La 
« vengeance a des charmes : pour ne pas se venger, 



64 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

« Quae superant igitur?.». Meque, etquasblanda voluptas 

<c Delicias gignit y dubiae committere pugnae ? 

« Quid? dubiae dixi?... Nil non deperdere certumest. 

« Corpora multipliées tria si pepulere maniplos ; 

560 « Et misère , fîde majus ! sub Tartara multos ^ 

« Proh pudor ! incolumes; quid non superabile cunctis ? 

f( Quin molire fugam , infelix ; quin collige , quidquid 

<c Subductu facile est, vitans mortemque, pudoremque. 

« At quibus in terris miserô latitare licebit ?... 
656 « Quœ régie, quamvis déserta, aut quae aequora possunt 

<c Accipere errantem, profugum?. . . Splendorequis optet 

« Déficiente sequi dominuio, seu servus, amicus 

«Sive sit?... Imo omnis fugientem turba sequetur, 

« Aà vita, aut furto, aut captum spoliabit utroque. 

5eo « Non ita : constabunt magno mala nostra; nec ullis 

« Parcere flagitiis mens est, neque fraudibus ullis. 

« Audacem ingenio, claro tumidumque tropae^o 

c( Insidiis circumveniam : sub tecta reducam , 



CONTRE TRIPOLI. 65 

« il faut être impuissant. Que reste-t-il à faire?... Me 

« livrer, moi et les objets de mes plaisirs, aux hasards 

«d'un combat? Qu'airje dit, les hasards?... Une 

c( perte totale est certaine : si trois guerriers ont re- 

a poussé -de nombreux bataillons ; si, fait incroyable ! 

ails ont, ô honte! précipité dans la mort nombre 

a d'hommes encore sans blessures , est-il rien que , 

« réunis , ils ne surmontent ? Infortuné , prépare ta 

<c fuite ; recueille tout ce qui est facile à soustraire : 

a ainsi tu éviteras et la honte et la mort. Mais quelle 

a terre au malheureux offrira une retraite? Quelle 

« contrée , fût-ce un désert , quelle mer accueillera un 

« être errant, fugitif?... Esclave ou ami, qui Voudra 
«accompagner un maître dépouillé de son éclat?.-. 

«Ah! une horde infidèle escortera ma fuite, et, de 

'ce son captif, ravira les biens ou la vie... Mais non, 

^ je vendrai cher ma disgrâce ; j'ai résolu de u'épar- 

« gner ni crimes ni artifices. Qu'Importent l'audace de 

ce l'ennemi et l'éclat de ses trophées? Je l'entourerai 

« de pièges. Entré dans mon palai3 , je lui promettrai 

5 



66 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

a Omnia polUcitus , quidquid déposent avarus ; 
565 « Cumque lucro illectus veniet , si tecta viarum 
« Crimina devitet solers, coraih integer adsit; 
« Unguibus infandum caput , atque exscindere morsu 

m 

a Non avido pig^t : cor insatiabile dextra 

« Pectore convellam ; fumantiaque exta vorabo. » 

»'® Talibus infrendens secum rixatur , et ipse 

Labra sibi atque manus iterumque iterumque momordi t • 

Qualis j ubi cavea detentam fuste lacessas ^ 

Ocyus evolvens sinuosîs orbibus orbes, 

Terque , quaterque furens ictus jacit irrita serpens f 

ft76 Et cum lassari studio se advertit inani , 
Sanguine sufFectis oculis , dat sibila linguis 
Ore venenato vibrantibus; omnia circuin 
Dente rapit spumans , se dentibus impetit ipsam : 
Tabesolum egesta, maculosaque terga redundant : 

^^ Tutus at invalidas derisbr despicit iras. 



CONTRE ITllPOLL S*; 

^tout ce que demandera son avarice; et quand Tes- 
<c poir de l'intérêt Taura attiré , si son adressa évite 
« les pièges cachés sous ses pas , et qu'il paraîtra 
«sans blessure à mes yeux, non, je ne rougirai pas , 
« d'un ongle ou d'une dent avide , de déchirer sa 
vc tête infâme ; son cœur insatiable , ma main l'arra- 
<x chera de sa poitrine ; et ses entrailles fumantes se* 
« ront ma nourriture. » 

Ainsi déchaînait-il en lui-même sa fureur, et mor- 
^ait mille fois ses lèvres et ses mains. Tel un serpent 
que, à l'aide d'un bâton, vous irritez, enfermé dans 
^sa cage ; déroulant tout à coup ses sinueux replis, il 
lance , dans sa fureur , trois et quatre fois des. conps 
impuissants: voit-il ses fatigues inutiles et ses efforts 
sans succès,^ ses yeux se teignent de sang; d'une 
gueule venimeuse, sa langue siffle : tout objet rap- 
proché, il le saisit d'une dent écumante : de ce 
tranchant aigu il se déchire lui-même , et couvre du 
venin qu'il vomit et la terre et son dos tacheté : mais 

Tagresseur , à l'abri , se rit d'une vaine colère. 

5. 



68 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

— — • ■ II. 

Persicus interêa geminatis cantibus aies 
Nunciat auroram , curas dum lenit amaras , 
Insinuans œgris quoque somnos j roscidus humor. 
Tum deus adrepens malesano deligat artus ; 

686 Atque soporifera flammata papavere tangens 
Lumiua, non ultra, rabidos sinit ire furores. 
Stertit eo gravius^ quo plus exarserat ira. 
Non tamenirrigui capit ille levamina somni ; 
Non effœta diu solatur membra quiète. 

600 Quae vigilem exercent j mentem deliria terrent 
Nunc quoque jucundo victam languore : videtur 
Ipse sibi , incomitatus , egeas , pedes ire remotas 
Orbe vias alio ; qua nulla hominisve , feraeve 
Planta notabat humum , non cœlum avis ulla colebat. 

606 Intima nunc sentit sibi. viscera vulture rodi ; 
Insectantem hasta , dorsum jamjamque tenentem 
Nunc fugere approperans, haeret pes^ crura tremiscunt;. 



CONTRE TRIPOLI. 69 

Cependant l'oiseau de la Perse, par ses chants re- 
doublés, annonce l'aurore, alors que la rosée mati- 
nale calme l'amertume des soucis , et insinue le som- 
meil aux malades. Morphée alors légèrement s'ap- 
proche , enchaîne les membres de l'insensé , et , tou- 
chant d'un léthargique pavot ses yeux enflammés , il 

ne lui permet pas d'étendre plus loin sa fureur et sa 

* 
rage. Son sommeil est aussi profond que sa colère était 

vive. Cependant le sommeil lui refuse ses . douceurs , 
et d'un repos momentané charme à peine ses pesantes 
fatigues. Les fantômes qui le désolent éveillé épou- 
vantent son esprit , subjugué qu'il est par une douce 
langueur. Il lui semble marcher à pied , sans escorte 
et sans ressource, dans une contrée que n'avaient 
foulée ni les animaux ni les hommes, sous un ciel que 
n'habitent pas les oiseaux. Tantôt il sent un vautour 
qui lui ronge les entrailles; tantôt il s'empresse de 
fuir l'ennemi qui le poursuit , et de sa lance va l'at- 
teindre, quand son pied s'arrête, ses jambes chancel- 



vmttmm^mn^^mm- 



70 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

I I ■ .1 . I .1 II I I ■■ .1 ■« Il n^ 

Rapibus interdum casurus pendet ab altîs. 
Ecce metus inter varios exsurgit imago 
MO Vera , ingens ; adeo manifesta ut clarius adsit 

Non quod prœsentes prœsens in luce videmus. 

Quem Gaiiges hodieque colit, veneratur et Indus ; 

iËmulus haud M artis ^ sed Mavors ipse vocatus 

Lysiusy et magnus jure, A.lbuquerquius héros ; 
606 Hactenus , ut quondam ^ succensus amore suorum ; 

Nectare deposito , divina parumper omittens , 

Non ad barbaricos refugit descendere muros ; 

Aut dedignatur yerbis componere litem. 

Promeritas navi , proprio de nomine dictée , 

•10 Maturare ardet lauros; atacerque tyrannum^ 
Jam desperatis rébus j terroribus actum , 
Omuia, quse doceat mens insidiosa , parantem 
Aggr^ditur dictis, qualis , quantusque solebat , 
Cum caput imperii , quam nunc habet indica tellus^ 



■'M— •— ^> 



COPTTRE TRIPOU. 71 

lent ; et son carps , près de tomber, reste suspendu à 
. la cime d'un rocher. 

Voilà que, au milieu de ces diverses terreurs, appa*" 
raît un véritable et gigantesque fantôme : moins clai- 
rement se montre ce que le jour présente à nos re- 
gards. C'est le héros qu'aujourd'hui le Gange honore 
et que révère llndus : ce n'est pas le rival de Mars, 
c'est le Mars même lusitanien, c'est Âlbuquerque, 
justement nommé le Grand, embrasé, comme autre- 
fois , de l'amour de sa patrie. Renonçant au nectar, et 
contempteur momentané du céleste bonheur, il ne 
dédaigne pas de marcher vers les murs des barbares , 
et, par des paroles, d'apaiser les débats. Au vais- 
seau appelé, de son nom, VAlhuquerquey il brûle d'as- 
surer de justes lauriers ; et tandis que le tyran , à 
la vue dé sa perte certaine, est glacé d'effroi, et pré* 
pare tous les pièges que lui suggère son âme féconde 
en stratagèmes, il lui tient ce langage. — Il paraît 
avec son attitude et sa grandeur premières , quand 
l'île nommée encore dans l'Inde la reine de ses Etat» 



1% EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



615 Insula bis hostem metuit ; Malaca recepit 
Aurea victorem ; victorem Armuzîa dives ; 
Promissa barba venerandus , totus in aère. 

«Quid miser, inquit, agis ? quae mente dolosa revol vis? 
ce Quisfuror, aut qu» animum petulans vesania cepit? 
«ao cFraudibus an nectens fraudes, insane, putabas, 
« Quae capiti impendet , funestam avertere cladem ? 
« Quos violare audes, an nescis? Inscius utrum 
« Concilias hostes regem , populumque potentem ? 

« Te fugit hœc ipsos impune relinquere nusquam ? 
825 tf Quanta sit a Luso veniens animosa propago , 
' « Apparere magis , quam Mauro , debuit ulli ? . 
« Sis licet ignarus rerum , vel , credo , tuarum ; 
a Heroum quoties populo liuic obsistere contra 

« Vestrates ausi , quae tristia damna tulerunt , 

\ 

eao « Noveris invitus , vulgi quoque sparsa per ora. ^ 

« Proculcata super Maurorum tempora regum 
« iEterna imposuit solii fundamina primus 



CONTRE TRIPOLI. 73 

redouta deux fois en lui un ennemi , que l'opulente 
Malaca le reçut Vainqueur dans ses murs, et que la 
riche Ormuz l'accueillit triomphant. Sa longue barbe 
imprime le respect : on le dirait un bronze réeU 

« Que fais-tu , malheureux ? lui dit-il ; quelles tra- 
rc bisons ourdit encore ton âme? Est-ce fureur ou dé- 
« lire qui t'ëgare? Croyais-tu donc, par une chaîne 
(c d'artifices , détourner le coup funeste suspendu sur 
a ta tête? Ignores-tu qui tu oses outrager? Ne sais-tu 
« pas que tu changes en ennemis un monarque et un 
<c peuple puissant ? Oublies-tu que jamais ils ne lais- 
« sent pareils attentats impunis? Qui jamais /plus que 
« le Maure , a dû réconnaître la valeur des enfants de 
<c Lusus? Apprends-le, tout étranger que tu semblés à 
<c ton histoire : chaque fois qu'à ce peuple de héros tes 
a aïeux ont osé tenir tête , apprends , quoique à re- 
«gret, ce que radonte même le vulgaire, quels dé- 
ce sastres ils ont éprouvés. 

« Sur la tête abattue des rois maures , Alphonse a, 
c( le premier, jeté les fondements éternels d'un trône: 



74 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

« M aximus Alphousus : Maurorum strage cruenta , 
a Praecurrens gladio dum strenuus ipse cdruscat , 

«36 « Atque aditus offert, îUiso cèrpore, Mendus, 
<x Lusitana rueus en arce juventa potitur , 
« Quam fertur claram statuisse disértus IJlysses ; 
« Regia utrique polo, septein de montibus, olim 
« Jara, Tagi decus auriferi, legesque daturam. 

«^0 (c Excidio Maures quanto ditione , mémento , 
« Sanctius exturbat , regnumque adjungit avito ! 

a Sanguine sic Mauro per laetos alter, etalter. 
<K Alphousus mittit nigrantia Qumina câmpos. 

<( Nostra nec infecto maduit modo terra cruore. 

046 (c Ejectis Alphonsus erat super, atque Joannes , 

« Exitium ad Libycos qui ferrent usque pénates : 
« Tum super Emmanuel, merito dixere Beatum, 
« Orbe suo quaerens alios pratôtantior orbes; 
« Quem procul ôptarunt diademata cernua regem. 



■-^ — i 

I 



CONTRE TRIPOLI. 7S 



c< tandis que , dans la défaite sanglante des Maures , 
« à la tête des guerriers , il fait briller son glaive et 
«son courage y et que Mendez^ le corps n:\utile, lui 
« facilite les approches, la jeunesse portugaise s'élance^ 
«et s'empare d'une cité qu'éleva, dit-on, l'éloquent 
« Ulysse ; cité qui , l'ornement du Tage aux flots- 
« dorés, donnera Un jour, de la cime de ses sept col- 
a Unes, des lois à l'uû et l'autre pôle. Rappelle en- 
a core par quelle éclatante défaite Sanche ravit à tes 
« aïeux leur empire , et le joignit à ses États hérédi- 

\ » 

« taires. Ainsi , dans nos plaines fertiles, l'un et l'au- 
« tre Alphonse fit couler des fleuves noirs de votre sang. 
« Ce n'est pas notre terre seule qu'a rougieun sang 
a vil. Ce. peuple est chassé du Portugal : restaient 
« Alphonse et Jean pour porter, jusque dans. la Li- 
ft bye, son nouveau séjour, le ravage; restait encore 
tf Emmanuel , justement appelé l'Heureux , qui cher- 
« che des mondes plus étendus que celui qu'il ha- 
« bite ; Emmanuel , que les rois inclinés ont désiré 
«pour maître. Tanger le sait, Arzille et Ceuta le 



76 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

6bo « Conscia Tiagis adest ; Arzilla et Sep ta loquuntur: 
a Testautur Numidae; turmae testantur Eose. 
(c Singula verbosus nam quid deducere nitar ? 
« Nomina sola ducum j dignis non laudibus aucla 
a.Serpetin immensum memorare : et dicta supersunt , 

665 « Altius ut capias, tibi sit res quanta y quibuscum : 
a Inque vicem laqueos temnant quam corda latentes , 
« Quo Mauri valeant , usu perdocta magistro. 
« Alternam hic vires operam et prudentia tradunt. 
a Quid cessas igitur? quid flexo poplite supplex , 

660 . ce Quamlibet immeritus j veniam non saepius oras ? 
ce Qui vano gaudent fastu calcare tumentes , 
«c Quos juvat ultores compescere crimina pœnis y 
« Supplice voce reum pronum miserantur iidem. 
« Vix medios Titan aceenderit igneus aestus, 

665 (c Cum j quaî propugnat Tripolinos maxima portus , 
a Victoris fiet navis y geuninaeque biremes y 



CONTRE TRIPOLI. 77 



« proclament ; les Numides l'attestent , et l'Orient le 
« déclare. Mais pourquoi m'efforcer, orateur diffus , 
i< de détailler ces faits? I^e nom seul des héros, sans y 
« joindre des éloges mérités , serait un immense récit. 
« Ce que j'ai dit suffit ; tu comprendras quel dan- 
« ger tu cours , et quel est ton ennemi ; sache que le 
« Portugais méprise des pièges secrets : l'expérience 
« lui a depuis longtemps appris où triomphe le Maure. 
« La prudence et la force se prêtent chez nous un 
« mutuel appui. 

« Pourquoi donc tes délais? Pourquoi, suppliant^ le 
« genou en terre , ne pas solliciter un pardon que tu 
« n'as pas mérité? Quiconque aime à fouler aux pieds 
« l'homme enflé d'un vain faste, et soumettre, ven- 
te geur implacable , le crime à des châtiments, toujours 
« prend en pitié le coupable et ses humbles prières. 
« A peine le soleil aura de ses feux embrasé le 
« milieu de sa carrière , que le vaisseau , défenseur 
M de Tripoli , sera la proie du vainqueur, ainsi que 
« les deux birèmes enlevées avec le comms^ndement et 



78 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

« Nec dudum captae , dux , et numerosa juventus. 

« At tu , ne tiineas : reddentur cuncta petenti. 
670 (c Magnanimis auri nunquam irrequieta cupido 

ce Infecit mentes : gens aequa praeoptat amicos , 

« Quamservos, praedamve :fugax, datur^arripetempus.» 
Dixit, et uUa nihil responsa moratus, abivit. 

Percitus ille pavore tremit , subitusque cubili 
6*35 Membra levans, oculos turbatus in omnia volvit. 

Limina perrumpit , collustrat singula , clamât ; 

Nec famulis quid dicat, habet, venientibus amens. 

Mox trepidans aciem convertit in œquora , late 

Qua patet unda; obtutuque haeret fixus eodem. 

Qgi) Dum notât omne salum cupidiis, i>e visa probantur. 
Prospicit, ut portum velis petit hostica navis; 
Ut propiora tenens, oris dat lintea rétro; 
Utque omnes inflata sinus , velocior Euris 
Persequîtur praedas , navim comitante bircmi ; 



CONTRE TRIPOU. 79 



« Téqulpage. Pour toi, bannis la crainte; démande, 
« et tout sera rendu : une grande âme ne connaît pas 
(c l'insatiable soif de l'or. Un peuple juste préfère des 

« 

« s^mis à des esclaves et des richesses : saisis le mo- 
« ment; tu le peux encore, avant qu'il t'échappe. » 

k ces mots, sans attendre une réponse, Albuquer- 
que a disparu. Le tyran frissonne , glacé d'effroi. 
Soudain il a quitté sa couche , et , dans son trouble , 
il roule , de côtés divers , les yeux ; il ouvre les por- 
tes, regarde tout, pousse des cris; et, hors de lui, il 
ne sait , à ses esclaves accourus , quel langage adres- 
ser. Tremblant, vers la mer bientôt il porte ses re- 
gards ; il embrasse l'étendue des eaux , et , sur le même 
aspect y il tient l'œil attaché. 

Tandis que , sur les flots , s'arrête son œil avide , 
l'effet réalise la vision. Il voit le vaisseau portugais 
tendre, à force de vDiles, vers le port, et, déjà 
rapproché, s'en éloigner aussitôt; puis, les déployant 
toutes , aller plus vite que le vent , et , suivi de la 
birème, à la poursuite de la polacre, la prendre, et. 



8o EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Ut capity ut remeat, spoliis ut lœta triumphat : 
«86 Ut tandem capta vectus, ductore jubente, 
Castrius extremam deprendit nave carinam. 
Tristius j haud votis hostem exorasse potentem. 
Ilinc fuit f Emmani^el, duplex tibi gloria : namque j 
Scilicct assuetus duram contemnere mortemy 

890 Laberis intrepidus j paucis in castra sequiitis 

Maura; statim victor, pulsis ad Averna duobus. 
Uaec oculis y nimium veracis imagine somni 

Jam praedicta sibi, Caramalius haurit ab arce. 

Principio furiis agitur j perque atria pei nix 
e95 Itque reditque fremens ; crines barbamque revellit. . 

At timor emollit paulatim pectora ; prœsens 

Yir mentem non falsus alit spe j caetera verus. 

Nonnunquamaddubitat : a Quis enim confîdat in hoste? 

« Secum ait : ac momento post contraria censet. 
700 a Quid tentare nocet? potius quid denique restât?» 



CONTRE TRIPOLI. 8i 



avec la joie d'un triomphateur, ramener sa proie; 
enfin ordonner à Castro , monté sur sa conquête , de 
s'emparer du dernier des navires ennemis. Hélas ! que 
n'a-t-il imploré son puissant ennemi! Voilà pour toi, 
ô Castro y la source d'un double triomphe. Accoutumé 
à mépriser la mort et ses rigueurs , à la tête de quel- 
ques soldats 9 tu t'élances , intrépide , dans l'esquif 
barbaresque, et soudain, vainqueur, tu précipites 
deux victimes au Tartare. 

Ces faits , qu'avait déjà prédits l'illusion d'un songe 
trop véridique , Caramali les découvre du haut du 
palais. En proie d'abord à la fureur , d'un pas rapide 
il va , revient , rugit dans son enceinte , et s'arrache 
leÀ cheveux et la barbe. Mais la crainte calme par de- 
grés son courroux. Présent à sa pensée, le héros, 
jusqu'ici véridique , nourrit en lui l'espérance ; quel- 
quefois il balance. « Quelle confiance , se dit-il, mettre 
« dans un ennemi? » Et le moment suivant produit 
une pensée différente: a Une tentative est-elle donc 
« un danger ? Et que me reste-t-il enfin ? » 



8î EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Continuo quemdam arcessit graviore probatutn 
Munere j saepe sibi dubiis fidum an te periclis. 
Âd navim jubet ire; ducique adducere Gallos, 
Gorgonei vultus instar, tnalafronte gerentes. 
706 Pro quo y si menti tanta est fiducia , poscat 

Cuncta, monet, detracta sibi, puppesque, virosque ; 
Tum quaecumque velinty se dicat in omnia laetum. 

Exitus exuperat quidquid sperare licebat. 
Be sibi seposita nulla, puppesque virosque, 

710 Praefectumque maris captos, concorde Donaldus 

Milite , principibusque viris, nautisque remittit : 

Insuper optatum largitur nomen amici, 

Quod domino firmum augusto promittit habendum. 

Yix capit attonitus sua gaudia regulus : ingens 
^i^ Laetitiae plausus proceinim, clamorque popelli 
Assonat in pelagus , victorumque advenit aures. 
Qua vero tacita mentes dulcedine mulcet , 
Murmure dum resono tormenta hinc , inde tonàbant, 



CONTRE TRIPOLI. 83 



Soudain il appelle un homme éprouvé en des fonc- 
tions plus importantes, et trouvé fidèle en des cir- 
constances critiques. « Cours , dit-il j au vaisseau por- 
cc tugais ; remets au commandant les Français , dont 
ce le visage , pareil à celui de la Gorgone , porte le 
« malheur; et demande , si tu Toses, tout ce qu'il a 
<c conquis , équipage et vaisseaux ; enfin , quoi qu'il 
« veuille, il te faut tout agréer. » 

Le succès a surpassé Fespérance qu'il pouvait con- 
cevoir; rien n'est excepté : équipage , vaisseaux, 
amiral , prisonniers , Campbell , d'accord avec le sol- 
dat, les grands, les marins, Campbell a tout ac- 
cordé. Il lui donne, en outre, le nom désiré, le nom 
d'ami, et promet, pour ce traité, l'agrément du mo- 
narque. 

Le barbare , étonné , contient à peine sa joie. Les 
applaudissements des chefs et les acclamations du peu- 
ple retentissent sur la mer, et parviennent à l'oreille 
des vainqueurs. Quel charme secret pénètre les âmes, 

quand , au bruyant fracas du canon , aux cris joyeux 

6. 



84 EXPÉDrnON DES PORTUGAIS 

Adversa Christo turba acclamante ^ videre 
720 Quina salutiferi âplendentia vulnera Christi , 
iËtemum decus imperii j summa hostis in arce. 
Curarum hoc pretium , merc^s ea digna laborum : 
Nam regique Deoque simul qui serviit , ipsi 
Nil majus fortuna dabit j nll gloria majus. 

7i.'> Et tibi f ductorem nunc lusitana supremum 

Quem sequitur dassis, sanguis de sanguine regum, 
Sed magis ingenio , magis a virtutis honore 
lima potens; en magna tibi hinc praeconia laudum! 
Talia suscipiens , pubes tibi paruit audax : 

790 Nil £actum est , cujus fieres non providus auctor. 

Nec minus inde tibi decoris, clarissime Nelson , 
Qui rapuisse ferox Neptunia sceptra videris : 
Tu prior ostendis 9<{uae gens invicta peregit. 

At qui gestorum melîorem vindicat œqu6 
736 Jure sibipartem^. quem prima exordia rerum . 



CONTRE TRIPOLI. »5 



de la. troupe ennemie des chrétiens , on voit les cinq 
plaies du Sauveur y cette immortelle garantie de l'em- 
pire j arborées au sommet de la citadelle ! Tel est le 
prix des soins j telle la juste récompense des travaux ; 
car, à qui sert à la fois son roi et son Dieu , est-il rien 
de plus grand que puissent offrir la fortune et la 
gloire? 

Toi aussi que reconnaît aujourd'hui , comme son chef 
unique y la flotte portugaise ^ toi, issu du sang des 
rois j et j bien plus encore , honoré par l'éclat de la 
vertu et celui du talent , o Niza , quelle moisson d'é- 
loges ici tu recueilles! Dans cette entreprise , c'est à 
toi qu'obéit une bouillante jeunesse j à toi qu'appar- 
tiennent l'exécution et le plan ! 

Sur toi rejaillit une gloire pareille, illustre Nelson, 
qui semblés avoir arraché son trident à Neptune : le 
premier tu montres ce qu'exécute un peuple invin- 
cible. 

Mais qui peut, à juste titre ^ réclamer de ces ex- 
ploits la meilleure partie? qui a mis le premier la. 



86 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Speotans y me réticente quidem , non nesciet uUus. 
Littora respondent : respondent œquora nomen. 

Nautica res, quondam célèbres quœ reddidit orbe, 
Quœ regnaturos extremas duxit in oras 
7*0 Lusiadas, dixisse piget, neglecta jacebat. 

r 

Multa quidem restabat adhuc, demissa profundis 
Brasiliae silvis , sed multa carina vacabat ;, 
Aut si qua imprudens Arcturum, ïlyadasque subivit. 
Tarda movebatur, ventorum oblita, marisque; 
'*^ iEquoreis impar furiis, nec idonea bello. 

Rarus et imbellis sua munia nauta videtur 
Dedidicisse : sciens nullus paretve, jubetve. 

En Rodericus adest : virtus antiqua resurgit : 

Jam nova progeniesemittitur : educat aptos 
7&0 Neptuno et Marti sapiens academia cives ; 

Unde vir egregius, quisquis supereminet, optât: 
Et cum mille studet , cum solus maxima curât , 
Laudibus incendit, si quis laudabile promat ^ 



\ 



CONTRE TRIPOU. 87 



main à l'œuvre ? Dussé-je garder le silence , qui pour- 
rait Tignorer ? Son nom , les rivages le redisent , et 
les mers le proclament. 

L'art du navigateur , qui jadis illustra les enfants 
de Lusus y et les conduisit , pour y régner , aux der- 
nières limites de l'univers , cet art, je le dis à re- 
gret , n'était plus cultivé. Restaient encore, venus 
des forêts du Brésil , nombre de vaisseaux ; mais ils 
gisaient inutiles; ou si quelque imprudent osait bra- 
ver l'Ourse et les Hyades, quelle lenteur dans ses 
mouvements , quelle ignorance des vents et de la mer ! 
Il ne peut résister à la tempête ni sei'vir au combat ; 
rare et peu guerrier, le nocher semble avoir oublié 
ses fonctions : on ne sait plus obéir ou commander. 

Enfin Coutinho paraît : avec lui reparaît l'énergie 
de nos pères. Déjà se montre une race nouvelle ; déjà, 
pour Neptune et pour Mars, une savante école 
forme des citoyens. C'est là qu'il choisit, guerrier il- 
lustre, celui qui l'emporte par le mérite. Occupé seul 
de nombreux travaux et des plus grands intérêts, il 



88 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 

Munere seudigDûm'quis agat, cumulatiir ab ipso 
''^ Muneribus : generosa petit sic astra juventus ; 
Grandia sic sociis Donaldus talibus egit. 

O nos feliceSy o terque quaterque beati , 

Sub Joanne quibus decurrere dulcia vitae 

Otia j tantorumque datum est consortibus esse ! 

760 Joannes, patriae pater atque amor, inclyta regum 

Magnoiiim soboles; et spes, et gloria gentis , 

Prima Adamastoreos ausa est quae invisere vultus ; 
Hesperiaque ima Nabathaeas ducere ad oras 

Tradita in imperii pignus vexilla salutis ; 

765 Joannes , tetro cum flagrant omnia bello , 
Cum desolatas per terras régnât Erinnys, 
Subjectos longe populos, lateque vagantes 
Face fovens placida , justus, pius, optimus, ingens; 
Nullam non valide virtutem amplexus avorum , 

'no Queiscredat res tractandas, hinc omnia pendent^ 
Praecipua meritos praestat virtute legendi. 



CONTRE TRIPOLI. 99 

enSamme par. des éloges l'auteur d'une utile décou- 
verte; il prodigue les récompenses à qui, par ses ac*» 
tioQS , s'en est montré digne. Ainsi s'élève aux cieux 
une magnanime jeunesse ; ainsi , avec de pareils com- 
fiagnons, s'est signalé Campbell. 

Heureux , trois et quatre fois heureux Portugais ,, 
il vous est donné , sous le règne de Jean y de couler 
vos jours en de doux loisirs , et de partager de si 
glorieux exploits! Jean, le père et l'amour de la pa- 
trie y le rejeton illustre d'illustres monarques ^ l'espoir 
et la gloire de la nation qui osa, la première , con- 
sidérer la face d'Adamastor, et, du fond de l'Hespé- 
rie, porter aux plages habitées par l'Arabe l'étendard 
du salut, devenu le gage du salut de l'Etat; Jean, 
qui, aujourd'hui que tout brûle des feux d'une guerre 
impie , et que la terre est en butte aux coups dévasta- 
teurs de la discorde 9 prince juste et pieux , bienfai* 
sant et magnanime , maintient dans les douceurs de 
la paix les peuples qui errent , soumis, en de vastes et 
lointaines contrées. I^^borieux imitateur des vertus de 



sa;: 



90 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Respuit oblatum , corda ambltiosa tegentis , 
Ârdelionis opus; nolentes allîcit idem. 
Blandiloquœ mendax lacet indulgentia lioguœ : 

775 Nil , nisi vera , probans doctorum turba virorum 
Principis excelsi studiosas occupât aures : 
Consiliis, factisque prœest Pallasque, Themisque. 
Non hic quaerendis regnis, populisve domandis 
Mars ensem torvus nudat : sed pace tuenda ^ 

780 Sed castaut maueant décora al ta parentum. 
Haud sibi Joannes regni nioderatur habenas. 
Gens sua stat domino studiis antiquior ullis. 
Nobilis, aut humilis; seu coram justa preeatur^ 
Sive procul , miles, mercator , nauta , colonus ; 

785 Pro meritis, donis oneratus quisque recedit : 
Mœrentem nulluni dimiscrit, aequiis in omnes : 
Rcgia quin etiain prœcurrunt muiiera votis, 



CONTRE TRIPOU. 91 



ses ancêtres , il en est une qui surtout le distingue et 
d'où dépend notre bonheur, le choix des hommes à 
qui doit être confié le soin des affaires : du courtisan 
qui cache une âme ambitieuse , il repousse les avan- 
ces; à qui les fuit, il offre les honneurs. Près de lui 
se tait la flatterie au langage artificieux et mensonger. 
Le savant , panégyriste de la seule vérité j peut seul 
de ce grand prince occuper les oreilles amies du sa- 
voir. A ses conseils et ses actions président et Thémis 
et Pallas ; si le farouche Mars tire le glaive , c'est 
non pour conquérir des États ou subjuguer des peu- 
pies y mais pour maintenir la paix, et conserver sans 
tache l'honneur acquis par ses aïeux. Ce n'est pas 
pour lui que Jean tient les rênes de l'Etat ; le peuple 
est pour son maître le premier des intérêts : noble ou 
plébéien , soldat ou commerçant , marin ou laboureur , 
que, de près ou de loin, il lui présente de justes 

prières, chacun, selon ses mérites, se retire comblé 
de bienfaits. Sa justice , égale pour tous , ne renvoie 

personne éploré. Que dis-je? la bienfaisance du mo- 



93 EXPÉDITION DES PORTUGAIS 



Solaque pœna venit pede claudo. Lysia, surge; 
Toile, superba, caput ! Quid non sperare libebit 
7W Talibusauspiciis? Tibi plaude, ô Lysia! plaude. 
Jam tibi fatidicœ nent aurea fila sorores; 

Saeclorumque nitens ordo , régnante Joanne, 
Nascitur : incœptis gaude : majora sequentur. 



Fervida funde preces, pia numina saepe fatiga^ 
7w Ut solioy celsa cum conjuge, fultus avito , 

Tempora Joannes innubila transigat œvi ; 

Terrer ut externis, sit maximacura suorum; 

Natonim ut cernens natos , natosque nepotum y 

Serior , unde fuit munus , rapiatur in astra : 
«00 Te dignus princeps ; tu principe digna vicissim. 



FINIS. 



CONTRE TRIPOLI. 93 

iiarque prévient souvent les désirs : il n'est que la 
peine qui marche à pas tardifs. Lève y ô Lisbonne, 
lève ton front superbe ! Que ne pas espérer sous de 
pareils auspices ? Réjouis-toi , cité fortunée , réjouis- 
toi! Les sœurs interprètes du destin filent pour toi 
des jours d'or ; sous le règne de Jean , se renouvelle 
un brillant ordre de siècles : à d'heureux commence- 
ments succédera un plus heureux avenir. 

Adresse au ciel de ferventes prières; demande 
souvent à ses pieux habitants qu'assis , avec son au- 
guste épouse , sur le trône de ses pères , Jean passe 
sans nuages le temps de sa vie ; qu'il soit la terreur 
des étrangers et l'amour de son peuple ; qu'il voie 
les enfants de ses enfants et les fils de ses neveux , et 
que y présent du ciel , il ne retourne que tard au ciel. 
O Lisbonne , ton prince est digne de toi ; tu es aussi 
digne de ton prince. 

FIN.